À partir de quel stade une espèce de poisson est-elle considérée sur-pêchée? Au moment où les filets se vident? À l’inverse, quelles sont les conditions qui contribuent au bon renouvellement des espèces? Au sein du monde de la pêche, ces questions deviennent existentielles.
Dans son bilan récent sur la pêche hexagonale, l’Ifremer établit que "la situation globale peine à s’améliorer", alors qu’on considère que la surpêche diminue. Comme si on faisait du sur-place. Comme si les populations de poissons n’arrivaient pas à revenir à un meilleur état.
Pour progresser, il y a trois grands principes: "Une pression de pêche modérée; des pouvoirs publics qui font respecter les avis scientifiques; et un facteur environnemental", énonce Clara Ulrich, coordonnatrice des expertises halieutiques à l’Ifremer, institut français de recherche sur l’océan et l’exploitation de ses ressources.
Une démonstration grandeur nature est faite avec le merlu.
Modérer la pêche
Dans le golfe de Gascogne, depuis une vingtaine d’années, le merlu a bénéficié d’une "régulation publique très forte, via des plans de gestion". Des seuils de pêche "beaucoup plus modérés" ont permis aux merlus de mieux se reproduire. La dynamique a été favorisée par des conditions environnementales propices. Résultat: sur la façade atlantique, le merlu apparaît "en bon état".
Au contraire, "la Méditerranée est une zone où la capacité des pouvoirs publics à réguler la pression de pêche a été moindre", analyse l’experte. Les plans de gestion y sont apparus trois décennies après ceux de l’Atlantique. Par rapport à son cousin, le merlu de Méditerranée est "un poisson en souffrance environnementale".
"Cela fait tellement d’années qu’il est dans la catégorie dite “effondrée", qu’on ne sait pas exactement ce qui lui permet encore de se maintenir. »
Sauver le merlu
Désormais, le merlu est "l’espèce emblématique du plan de gestion de pêche en Méditerranée" – une première phase de ce plan arrive à échéance en 2025. "L’Europe et les pouvoirs publics – en France, en Espagne et en Italie – restent très focalisés pour dire qu’on peut sauver le merlu de Méditerranée."
Le pêcheur varois Benoît Guérin sait que le merlu était abondant… par les témoignages des anciens. "L’espèce a énormément régressé, idem pour le pagre, ou la daurade rose." Situations isolées?
"On ne sait pas grand-chose de l’état écologique des populations de poissons que nous pêchons, admet le professionnel dont le bateau est amarré au port d’Hyères. On sait tous qu’il y a des zones plus riches que d’autres, mais c’est très mouvant."
La pêche est une activité rythmée par ses propres saisons. "On a bien pêché les rougets cet automne" et dans les prochaines semaines, "les sèches vont venir lâcher leurs œufs". Mais la conviction de Benoit Guérin est que "si on pêche trop fort, la ressource se fragilise".
C’est une question d’équilibre pour le milieu naturel. "Quand on “cale une roche", il faut la laisser tranquille après. » "Caler une roche", cela veut dire poser son filet à proximité d’une roche sous-marine.
"Les très bonnes roches que je connais, où je peux prendre du chapon et de la langouste, j’y vais une à deux fois par an, pas plus. Pour ne pas vider les lieux." Mais ni lui ni personne ne sait combien de pêcheurs se rendront sur le même site. Et personne ne peut évaluer les effets sur le renouvellement naturel de chaque espèce.
À terre comme en mer
Dans son étude sur les stocks de poisson, l’Ifremer s’intéresse en particulier aux poissons juvéniles. "La baisse du nombre de jeunes poissons est à rapprocher du déclin de la biodiversité qu’on connaît aussi bien à terre qu’en mer", résume Clara Ulrich à l’Ifremer. "La sur-exploitation des ressources en est une cause, mais aussi le changement climatique, la destruction des habitats, la pollution, les espèces invasives."
Dans ce contexte plus complexe, les équilibres se fragilisent. "Si nous avons souffert d’une dégringolade de certaines ressources, d’autres semblent plus stables", jauge Benoît Guérin, devenu consultant sur la petite pêche côtière.
Pour préserver les ressources marines, il devient nécessaire de prendre en compte les pressions que subit l’écosystème. Et d’adapter la part de prélèvement supportable.
commentaires