Viens, on plafonne le patrimoine des riches pour changer de modèle économique
Pandémie mondiale, crise économique majeure, la question est: Où allons-nous? Anton Malafeev, écrivain, et Jean-Paul Guichard, économiste, proposent de nouveaux paradigmes. Viens, on change!
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Agnès FarrugiaPublié le 25/11/2020 à 18:30, mis à jour le 26/11/2020 à 10:13
Anton Malafeev, auteur franco-russe, Antibois d’adoption, est enseignant et formateur en éthique sociale à Skema Business School. Il vient de publier La Psychologie des (nouveaux) riches. (D.R.)
Le monde va mal. L’économie va mal. Est-ce uniquement la faute de la Covid-19? Bien sûr que non. Cependant, la pandémie a mis le doigt sur des choses qui fâchent. L’absence d’autonomie industrielle de la France, la puissance de la Chine, sans compter le second souffle offert à la planète quand le monde a été contraint à la pause. Quelles solutions apporter pour rétablir l’ordre? Les États mettent-ils des pansements sur des fractures ouvertes? Force est de constater que depuis le début de cette crise les milliardaires se sont enrichis (la fortune de Jeff Bezos, patron d’Amazon, a progressé de 74% pour dépasser les 200 Mds$, celle d’Elon Musk, le boss de Tesla a fait un bon de 285% pour dépasser les 100 Mds$(1), pendant que les pauvres se sont appauvris (le nombre de Français vivant sous le seuil de pauvreté pourrait augmenter d’1 million pour atteindre 10,3 millions en 2020). Alors que faire? Nous avons questionné Anton Malafeev, franco-russe résident à Antibes, auteur d’un ouvrage récemment publié dans lequel il propose un nouveau paradigme économique quelque peu ... atypique: plafonner le patrimoine des riches. Et l’économiste Jean-Paul Guichard, installé à Nice, qui suggère de rendre leur autonomie aux grands ensembles, en réindustrialisant les pays démocratiques et en imposant un protectionnisme nécessaire.
(1) Bloomberg, août 2020.
«Il faut plafonner la fortune des riches à 5 ou 10 millions d'euros»
Anton Malafeev est Russe. Il habite Antibes. Il vit en France depuis une vingtaine d’années après une vie au cœur de l’ex-URSS. Actuellement enseignant à Skema Business School Sophia en éthique sociale, il vient d’autoéditer un ouvrage intitulé La Psychologie des (nouveaux) riches.
"Je n’ai pas voulu romancer ce que j’ai vécu. J’ai écrit ce que j’ai vu. J’ai mis sur papier une réalité qui est aux antipodes de ce que vit la majeure partie d’entre nous." Ce qu’il a vécu? À son arrivée en France, un concours de circonstances le conduit à devenir chauffeur de luxe pour familles aux desiderata exubérants. Plusieurs anecdotes constituent la première partie de son ouvrage. "Tout est vrai. Chaque ligne. Cela plante le décor pour comprendre mon analyse en seconde partie." Redistribuer ou arrêter
Il distingue les riches des nouveaux riches, les premiers étant ceux dont la fortune est générationnelle, les autres ceux qui ne naissent pas riches mais le deviennent en un temps record. "Certains deviennent multimillionnaires en deux ou trois ans grâce aux technologies et leur comportement face à cet afflux de richesses est hallucinant!" Anton Malafeev explique que l’économie est un vase communicant, que s’il y a plus de riches alors il y aura plus de pauvres. Que l’argent est dépensé en tenue intégrale de crocodile, en yacht, en micro-trajet en jet privé... "En grand n’importe quoi. Ce que je propose, poursuit-il, c’est de changer de paradigme. Plafonner les richesses à 5 ou 10 millions d’euros par famille. Cela suffit largement pour bien vivre, s’inscrire dans le grand luxe et la volupté et même se payer tous les excès." Voter une loi
Arrivé au dit plafond, ce qu’il préconise c’est soit d’arrêter (de boursicoter, de construire, de racheter des sociétés...) soit de continuer mais en redistribuant les revenus de ses activités à des causes nobles (environnementales, médicales, économiques...). Loufoque? "C’est un autre modèle, rien de plus, soutient-il. Et c’est parfaitement possible et plausible." Ah. Et comment faire? "Aujourd’hui, on ne peut contraindre personne à le faire, répond Anton Malafeev. Mais il suffirait de faire voter une loi de façon simultanée, dans les pays progressistes, et l'Europe devrait en mener la danse. Aujourd’hui, quelle réponse a-t-on apportée à la crise économique induite par la crise sanitaire? Et de manière générale, aux inégalités grandissantes ? Des taxes et des prêts. Mais rien sur le fond."
L’auteur présume que d’ici deux ou trois générations, son modèle rentrera dans les mœurs. "N’assimilez pas ceci à du communisme, prévient-il, qui est un modèle économique utopique parce que basé sur l’égalité des gens. Or, on n’est pas tous égaux, ni intellectuellement, ni physiquement. Le communisme ça ne marche pas et on l’a bien vu. Le capitalisme non plus. Il ne régule plus rien et tout est basé sur la technique du crédit. On vit tous à crédit. Les États, les gens. Il n’y a plus de limites. La nature humaine ne s’adapte pas au capitalisme. On a toujours envie de plus. Nos seuls garde-fous sont la médecine, la police et la justice." Anton Malafeev aimerait rencontrer des politiques pour parler de ce nouveau modèle. Conscient que cela peut prêter à sourire, il se dit prêt à se battre pour en imposer la force et l’intérêt, au nom d’un monde meilleur.
"Ce qui fonctionne, c’est le capitalisme totalitaire"
Jean-Paul Guichard a été professeur d’économie à l’Université de Nice. Il est aujourd’hui professeur émérite et essayiste et réside à Nice.
Nous lui avons demandé ce qu’il pensait de la possibilité de plafonner le patrimoine des plus riches par contrainte législative, suivant ce que propose l’écrivain franco-russe Anton Malafeev. Il n’y croit pas. La démocratie est un luxe "Qui est disposé à se faire hara-kiri? Personne. Et puis, le temps de la mise en place, nous assisterons à une fuite des capitaux. C’est déjà ce qu’il se passe. Quand on est très riches, on a des accointances partout, surtout dans des paradis fiscaux. Regardez où sont domiciliés les yachts que l’on croise à Cannes ou Monaco, Îles vierges britanniques? Jersey?" Jean-Paul Guichard est l’auteur de plusieurs ouvrages, sur l’hégémonie de la Chine, la puissance des multinationales, etc, et il est bien d’accord, le monde ne tourne pas rond. Dans la solution proposée par Anton Malafeev, il voit un parallèle qui peut être fait avec un autre pan de l’histoire: la critique de la Papauté au temps de Martin Luther dont le discours était "Arrêtez de vous faire plumer par les Clercs qui enrichissent Rome". "Mais à cette époque, explique-t-il, on avait peur de finir en enfer. On se disait que Dieu était sensible à ceux qui étaient généreux envers l’Église et on donnait, pour avoir sa place au Paradis. Aujourd’hui, il n’y a plus cette foi. Alors, demander aux richissimes de redistribuer leurs gains en cas de dépassement d’un plafond, sera difficile à mettre en place." Pour lui, au niveau idéologique, c’est une attaque à la propriété. Bisounours et protectionnisme
La solution est ailleurs pour Jean-Paul Guichard. "La Chine recense toutes les industries manufacturières, et la démocratie recule dans les pays démocratiques. Et il faut le souligner, le capitalisme totalitaire chinois est économiquement efficace. Nous, nous sommes dans une société de Bisounours où les gens croient que la démocratie implique l’efficacité économique. Mais c’est un luxe qui a un coût économique." Alors que faire? "Du protectionnisme, répond tout de go l’économiste. D’abord, réindustrialiser les pays démocratiques (Europe, Japon, États-Unis, France...), développer la robotique (cela supposera des investissements considérables et les coûts de production seront importants). Et taxer nos importations. Pour que la différence de prix entre ce qui est fabriqué ici et ce qui vient de là-bas soit anecdotique pour le consommateur qui privilégiera l’achat national." Et de glisser: "Il faudra aussi baisser notre train de vie".
1- « La visée hégémonique de la Chine : l’impérialisme économique », L’Harmattan, 2011.
Jean-Paul Guichard, professeur émérite en économique, essayiste, niçois, a publié 4 ouvrages sur les questions économiques mondiales.A.F..
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