L’horloge affiche presque 12 h sur le Rocher. La place du Palais princier bouillonne de monde alors que la relève de la garde s’amorce. Quelques minutes plus tard, une fois le cérémonial bien huilé des carabiniers du Prince achevé, les touristes se dispersent dans les étroites venelles de Monaco-Ville.
Le Rocher, fortement dépendant du tourisme de masse, revivrait-il? Lui qui vit des heures sombres depuis l’apparition inopinée de la Covid-19.
Un trompe-l’œil, en réalité. Les commerçants souffrent toujours, les magasins de souvenirs davantage puisqu’ils ne peuvent guère compter sur la clientèle locale pour limiter la casse. "L’été dernier, il y avait plus de monde car les gens, dans l’excitation, pensaient que la pandémie était finie. Ils étaient libérés, les variants n’existaient pas, témoigne Maria Bidault, vendeuse chez "En Provence". Cet été, tous les pays remettent des restrictions."
Seulement 81 bus de tourisme en juillet
Les chiffres ne mentent pas.
En juillet, seulement 81 autocars de tourisme ont été régulés au parking des pêcheurs. Contre… 2301 en juillet 2019. Un écart abyssal.
Une corrélation directe avec le peu de bateaux de croisières qui accostent sur les ports de la Côte d’Azur, notamment à Nice et Cannes (lire les chiffres ci-dessous).
À Monaco, ils ont été interdits provisoirement par le gouvernement princier. Villefranche-sur-Mer, cette année, doit faire une croix sur ces immeubles flottants. "Certains bateaux étaient annoncés, à l’automne notamment, mais ils annulent au fur et à mesure que la crise sanitaire perdure", confirme Christophe Trojani, maire de Villefranche-sur-Mer.
"Les croisières, c’est un manque à gagner énorme, de l’ordre de -40 %. On ne voit plus ces milliers de personnes qui débarquent sur le Rocher pour une journée, qui mangent sur place et s’en vont en fin d’après-midi", raconte Habib Mahjoub, patron du bar-restaurant "Tony », lequel refuse quotidiennement des clients étrangers sans pass sanitaire. Essentiellement des jeunes.
Plusieurs commerçants ont même remarqué que les groupes de touristes emmenés par les guides ne s’engouffraient pas - ou très peu - dans les boutiques de souvenirs. "Ils ont la consigne de ne pas rentrer dans les magasins pour ne pas ramener le virus sur le bateau. D’habitude, ils ont du temps libre et se promènent", assure Alexandra Rinaldi, présidente de l’Association des commerçants du Rocher et gérante de l’échoppe "Les 5 Saveurs".
Un panier moyen faible
En ce moment, ces professionnels du tourisme composent avec une clientèle française et européenne (Hollandais, Allemands, Belges, Scandinaves…), au pouvoir d’achat moindre. "Aujourd’hui, le panier moyen est à 8,20 euros. Avec les Américains et Asiatiques, actuellement absents, ça montait bien plus haut", fait observer Gilliane Médecin, gérante du "Coin du souvenir".
Autres coups durs : la fermeture du Jardin exotique et du palais princier à la visite jusqu’en 2022. "ça, c’est un désastre", regrette une commerçante.
Malgré les nombreuses aides gouvernementales pour mieux assumer les importants loyers et locations-gérances - et donc passer le cap de l’hiver dernier - certains doivent puiser sur leurs deniers personnels. D’autant qu’au fil des mois, forcément, ces aides étatiques se réduisent.
"Utiliser son propre argent pour survivre à une situation qui n’est pas de notre faute, c’est rageant", poursuit Gilliane Médecin. "Sincèrement, on apprécie ces aides. Mais on préférerait qu’elles n’existent pas, tout comme le virus. On voudrait juste travailler et être valorisés pour cela, souffle Alida Gallorini, propriétaire d’un fonds de commerce. Les six mois de la saison estivale servent normalement à compenser trois mois où l’on est en déficit et trois mois où l’on a juste de quoi payer les charges fixes. Cet hiver, comment on va faire ?"
"L’an passé, ça s’est arrêté d’un coup au 29 août", se souvient Alexandra Rinaldi.
Un commerce a baissé le rideau métallique
Le spectre de baisser définitivement le rideau se ressent chez beaucoup. Le gérant du "Pasta Corner", rue de l’Église, n’avait plus les fonds nécessaires pour faire survivre son activité.
Alors quel espoir ? Les animations à Monaco-Ville, chaque vendredi d’été, sont organisées pour que les locaux se réapproprient le Rocher.
Une initiative louable mais insuffisante pour renflouer suffisamment les caisses. "Le seul espoir, c’est la vaccination. Si les gens se font vacciner, le virus ne pourra plus se répliquer", martèle Alida Gallorini.
Ou "apprendre à vivre avec le virus", souffle Gilliane Médecin.
Aucune croisière cet été à Monaco, peut-être à l’automne
Au large de Monaco, pas l’ombre d’un bateau de croisière. Ni en 2020, et toujours pas en 2021. Du fait de la crise sanitaire, ces mastodontes flottants ont été interdits par les autorités monégasques de faire escale au port Hercule.
"Afin de ne pas engorger nos structures hospitalières, l’objectif est d’éviter de devoir gérer d’éventuels clusters dans ces navires ayant embarqué plusieurs milliers de personnes", justifie-t-on au gouvernement princier.
"Réflexion en cours"
Avec le rebond épidémique dû au variant Delta, l’exécutif confirme qu’aucune croisière ne sera autorisée à Monaco cet été. "Une réflexion est en cours pour le dernier trimestre sachant que traditionnellement, le nombre de bateaux de croisière est très limité en automne", précise-t-il.
Un coup dur, forcément, pour les boutiques et restaurants du pays, particulièrement ceux du Rocher qui souffrent de l’absence de cette clientèle étrangère. "L’impact économique des commerces sur le Rocher est un point d’attention pour le gouvernement qui, en plus des aides et des mesures de soutien économiques proposées à toutes les entreprises de la Principauté, a déjà mis en place un accompagnement spécifique pour ce quartier. Plusieurs initiatives de dynamisation commerciale sont également organisées pendant cette période estivale.Bien entendu, le gouvernement continuera après la crise sanitaire à travailler pour permettre au Rocher de retrouver une activité économique la plus normale possible."
Quid du futur, à plus long terme, de la croisière à Monaco? L’interdiction sera-t-elle pérennisée ? "Une réflexion est en cours à la lumière de l’évolution sanitaire.En ce qui concerne les questions environnementales, le gouvernement est sensible aux améliorations techniques portées par le secteur. C’est le cas par exemple de l’électrification des navires dans les prochaines années."
En chiffres
Monaco
En 2019, 158 bateaux de croisière ont fait escale à Monaco. Cela représente 182 436 personnes. La moitié provenait des USA et du Canada et 62 000 de l’Union Européenne.
Nice et Cannes
En 2021, seulement 9 croisières ont déjà fait escale au port de Nice et 6 à celui de Cannes, gérés par la CCI Nice Côte d’Azur, dont celui du 11 juillet avec 4 360 passagers.
Villefranche-sur-Mer
Il n’y aura pas d’escale en 2021. En 2019, 222 683 passagers avaient débarqué de 97 bateaux.
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