Il ne fait pas la pluie ni le beau temps mais ses prévisions encouragent les décideurs économiques à orienter leurs stratégies.
Christophe Barraud, 34 ans, élu par l’agence d’information financière Bloomberg meilleur prévisionniste du monde pour l’Amérique, la Chine et la zone Euro, était l’invité du Monaco Economic Board* lundi soir au Novotel. Et c’est en ancien voisin qu’il est venu puisque celui qu’il est né à Cagnes-sur-Mer et a grandi entre sa ville natale et Saint-Laurent-du-Var a entamé ses études à la fac d’économie de Nice.
Lui compile et combine les données de l’économie mondiale de la plus savante manière pour prévoir l’avenir. Et il est optimiste notamment pour les trois prochains mois. De quoi redonner le moral aux acteurs économiques.
Aux côtés de Michel Dotta, président du MEB, bien décidé à vouloir tourner la page de la crise sanitaire et de Guillaume Rose, directeur général exécutif, qui reprend les activités en "présentiel", rencontre avec Christophe Barraud.
Qu’est-ce qu’un prévisionniste ?
C’est une personne qui analyse de nombreuses données économiques, mais aussi sanitaires et géopolitiques. L’objectif est d’interpréter ces données pour faire des prévisions sur la croissance, l’inflation, etc.
Comment devient-on prévisionniste ?
Après un DEUG d’économie appliquée, j’ai été à Paris-Dauphine pour une licence et une maîtrise d’économie. Puis j’ai fait un master en finances et un doctorat en économie appliquée. J’ai commencé comme assistant économiste chez Dexia Securities qui est une société de courtage pour la banque Dexia. J’avais pour mission d’étudier les données relatives au marché de l’immobilier américain en 2008 et 2009, c’est-à-dire au moment de la crise des subprimes. Je devais tenter de prévoir quand les prix de l’immobilier allaient rebondir. J’ai décortiqué tous les indices, toutes les variables. J’avais une méthode particulière que j’ai essayé d’étendre à d’autres domaines.
C’est cette méthode qui vous a rendu le meilleur ?
La méthodologie, c’est le plus important ! Il s’agit de recueillir un maximum de données, également via les réseaux sociaux, les articles de presse,... Il faut ensuite les trier pour essayer d’extraire la valeur et identifier des points que personne n’a vus. Et ensuite les utiliser pour les prévisions. Je retiens personnellement un nombre de données limitées. Je dis souvent que je ne suis pas le meilleur en mathématiques.
Et quelles sont vos prévisions ?
Je vise une croissance mondiale qui va rebondir de 6,2 %. La croissance accélère au deuxième trimestre car des zones géographiques vont se réveiller, comme l’Europe en raison de l’assouplissement des mesures de restriction sanitaire. Il va y avoir une nouvelle accélération au troisième trimestre en raison d’une resynchronisation mondiale avec d’autres zones comme l’Inde.
L’été sera donc fructueux ?
Il va y avoir énormément de dépenses durant la saison dans les pays développés. Il y a donc un cocktail ultra-positif jusqu’au troisième trimestre.
Et après ?
On peut s’attendre à un fléchissement à la fin de l’année. Il y a déjà des indicateurs pour le quatrième trimestre qui tendent à la prudence sur certains pays émergents comme la Chine avec un resserrement des conditions de crédit.
Sans compter une éventuelle quatrième vague !
Dans tous les scénarios, il y a plusieurs types de risques. Le premier est sanitaire effectivement. À l’automne particulièrement, quand la saisonnalité sera défavorable. On voit par exemple qu’au Royaume-Uni, le nombre de cas liés au variant delta a triplé en une semaine ; raison pour laquelle le pays retarde son processus de réouverture. Mais il y a aussi des risques de tensions sociales dans certaines zones. Et ce n’est pas impossible en France avant l’élection présidentielle. Il faut savoir que le prix de l’alimentation depuis le début de l’année est sur une hausse mondiale de 40 %.
Sur quasiment toutes les zones géographiques, on a un horizon très clair jusqu’à la fin du troisième trimestre. Et après, on sait que l’on aura un ralentissement de la croissance avec un certain nombre de risques pour la fin de l’année. Ça dépend également de la vaccination, notamment auprès des jeunes. S’ils ne sont pas vaccinés, il y a un risque de transmission accru.
Vous restez malgré tout très optimiste !
Oui, je le suis depuis décembre. L’efficacité des vaccins a changé ma vision. Initialement, j’ai eu du mal à y croire. Mais il faut voir qu’il y a une performance technologique fabuleuse, avec une rapidité inégalée et une logistique de distribution des vaccins. En quatre mois, il a été distribué un milliard de doses. Et un mois et demi après, nous atteignons deux milliards. Ça va très vite. Nous étions en retard par rapport aux États-Unis. Aujourd’hui, ils sont à 310 millions de doses administrées contre 300 millions en Europe.
Quid de la croissance en Europe et en France ?
Elle est à 4,7 % en Europe. Nous sommes retournés en récession au quatrième trimestre 2020 et au premier trimestre de cette année. Sur les dépenses de consommation, on constate une hausse de quasiment 20 % depuis le 9 juin par rapport à 2019 ; ce qui montre une volonté de dépenser. Le plan de relance de 100 milliards, dont 40 ont déjà été décaissés, arrive dans l’économie. La France devrait bénéficier, cette année, d’une mobilité internationale accrue grâce au passeport vaccinal, la levée des restrictions (notamment pour les Américains) à partir du 1er juillet. De plus, si l’on regarde les offres d’emploi, vous avez plus d’offres maintenant qu’avant la crise. Donc le choc sur le marché de l’emploi est minime. La croissance de la France devrait être de 6 % en 2021, après une contraction de quasiment 8 % en 2020.Et de 7 % aux États-Unis.
Quels secteurs vont tirer le mieux leur épingle du jeu ?
Les produits manufacturiers, la construction et l’immobilier. Le secteur de l’hôtellerie-restauration qui a perdu 66 % en 2020 devrait être cette année à -30 %.
Quel continent va s’en sortir le mieux à terme ?
L’Asie a été beaucoup plus résiliente. D’abord parce qu’elle a été moins touchée par la crise sanitaire, parce que les pays asiatiques ont déjà connu des crises et étaient donc mieux préparés. Et le potentiel de croissance est beaucoup plus élevé en Asie ! Le continent s’est donc relevé beaucoup plus vite.
La crise sanitaire peut-elle permettre une prise de conscience de l’urgence climatique ?
J’aurais tendance à dire que le changement de mentalités était déjà en route. Il avait été un peu stoppé avec Donald Trump au niveau mondial qui a mis un coup de frein aux ambitions de l’Accord de Paris. Il y a donc eu quatre années de flottement. Mais Jo Biden a remis ce sujet au centre des préoccupations et cela culminera avec la COP26 en novembre. Je pense toutefois que ce qui a vraiment éveillé les consciences, ce sont les événements climatiques ; y compris dans la région. Là, ça devient concret et la prise de conscience est réelle.
* Le MEB retrouve le présentiel. Le 18 juin, il organise un événement avec la Lituanie sur les biotechs et fintech. Du 12 au 14 juillet, un séjour à Florence est prévu pour une mission économique.
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