Les restaurateurs de Monaco à la peine avec l'obligation du travail à distance jusqu'au 31 janvier

Avec l’instauration du travail à distance jusqu’au 31 janvier pour freiner l’épidémie de Covid-19, des milliers de salariés ont déserté Monaco. Le milieu de la restauration souffre de cette absence.

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Thibaut Parat Publié le 10/01/2022 à 05:04, mis à jour le 10/01/2022 à 14:20
À 12h45, la semaine dernière, la rue Princesse Caroline est déserte. Dans cette artère piétonne, les salariés y sont d’ordinaire nombreux. Photo Monaco-Matin

Avec la déferlante baptisée Omicron et un taux d’incidence qui suit une courbe exponentielle à Monaco, le gouvernement princier a, comme son voisin français, pris une mesure forte: l’obligation du travail à distance jusqu’au 31 janvier. À une nuance près, toutefois: il n’y a pas un nombre de jours imposé [cela peut être un jour comme cinq jours dans la semaine].

Objectif affiché par l’exécutif monégasque: enrayer l’épidémie "en réduisant les flux de personnes en Principauté, ainsi que les interactions dans la sphère professionnelle, tout en maintenant l’activité économique."

Un équilibre forcément délicat à maintenir dans un pays qui compte un vivier de 55.919 salariés, dont 4.911 dans le public (en 2020, selon l'IMSEE, ndlr).

L’impact du télétravail se ressent déjà sur la route et les rails avec une diminution flagrante des voyageurs en gare et une baisse de 10% des véhicules transitant par Monaco. De fait, cela fragilise les affaires comme nous le confiaient certains responsables de commerces de proximité

En date du 6 janvier, 1037 entreprises ont retourné le formulaire déclaratif à la Direction du Travail, ce qui représente 10253 salariés concernés par le travail à distance. Des données censées évoluer à la hausse puisque bon nombre d'employeurs en sont encore au stade des interrogations.

Le milieu de la restauration, fragilisé après près de deux années de pandémie, souffre aussi avec ce nouveau dispositif. Reportage au cœur de Fontvieille et de La Condamine.

"On va droit dans le mur"

"Le télétravail est un frein. J’ai beaucoup de remontées de restaurateurs qui se plaignent de l’absence des clients. Dans les rues, il n’y a pas grand monde, y compris le soir", confie Alberte Escande, présidente de l’association des industries hôtelières monégasques.

L’un d’entre eux, à la tête d’une affaire à La Condamine, mâche moins ses mots. "C’est la mort assurée des petits commerçants. Ce ne sont pas les résidents qui font vivre Monaco, mais les travailleurs, lâche cette personne, épuisée. Avant la Covid-19, il fallait réserver pour manger chez moi et je tournais entre 120 à 150 couverts par midi. Pendant la crise, sans le télétravail, entre 80 et 100 couverts. La semaine dernière, c’était catastrophique: entre 35 et 50 couverts. On va droit dans le mur."

De Fontvieille à la Condamine, en passant par Monte-Carlo, le constat est largement partagé. Petites comme grosses affaires.

"Nous avons constaté une baisse entre 30 et 40% selon l’emplacement du restaurant. Par exemple, les établissements situés sur l’avenue Princesse-Grace sont moins impactés que ceux du quartier de Fontvieille", chiffre Riccardo Giraudi à la tête de neuf restaurants et d’un service de livraison à Monaco.

Zéro commande de galettes

Dans la galerie commerciale de Carrefour, Steve Ghirardo, directeur de Maison Mullot et Dubernet Gastronomie, a constaté "un ralentissement sur les viennoiseries du matin, le snacking et les plats du jour".

Mais aussi sur la pâtisserie de l’Épiphanie. "D’ordinaire, on a des dizaines de commandes de grosses galettes pour les entreprises. Cette année, on en a eu zéro. C’est un préjudice", déplore-t-il.

Un peu plus loin, sur l’esplanade, Livio Minguzzi, responsable du snack-bar-café Le Kiosque, limite la casse. "Avec le télétravail, j’ai perdu la moitié de mes clients. Il faut faire avec. Mais, on survit car on a la chance de travailler aussi avec les locaux et les retraités qui font leurs courses à côté."

Une peur de l'avenir

Elle aussi dépendante des salariés de la Principauté, Daya Pasquier, gérante du restaurant Eola niché sous les arcades de la place d’Armes, craint pour la viabilité financière de son affaire. "Depuis décembre, c’est très compliqué. Le télétravail a été la goutte d’eau. On fait 30 couverts par jour. Les livraisons nous sauvent un peu, nous confiait-elle ce mercredi. J’ai beaucoup de charges, notamment avec les fournisseurs, et j’ai du mal à payer sans être dans le rouge. On n’avait jamais eu ce problème jusqu’alors."

Avec un chiffre d’affaires en dents de scie - au gré des vagues et des mesures sanitaires, pourtant nécessaires dans cette lutte sans fin contre la Covid-19 - le milieu de la restauration se sent frustré.

"Cette pandémie nous fait mal. C’est dur d’être commerçant en ce moment, reconnaît Gilles Delarouere, gérant de Woo dans la rue Princesse Caroline. On avait fait une belle fin d’année. On était en progression, on avait changé notre façon de travailler. Mais début janvier, c’est dur. La rue est vide. Dans les banques autour, les salariés ont la Covid-19 ou sont cas contact. Pour l’instant, on tient. Mais il ne faudrait pas que cela dure trois mois. L’idée, ce n’est pas de licencier…"

Bon nombre des restaurateurs interrogés, à l’instar d’Axel Giudicelli du Giudi’s à Fontvieille, prêchent pour un retour des aides économiques afin de passer ce cap: le CTTR, notamment. "Ce ne serait que du positif pour nous. Avec cette situation en dents de scie, on ne peut plus rien prévoir. Deux années que ça dure. J’avais prévu d’embaucher une personne car on sentait une reprise. Ça ne se fera pas…"

Ce vendredi, le gouvernement princier n’a pas fait d’annonces en ce sens. Au contraire, les mesures se sont renforcées dans les restaurants: le nombre maximum de convives à table passe de 12 à 8 personnes et l’espacement entre les tables est augmenté à 1 mètre 50. "Un nouveau coup dur", souffle, dépité, un restaurateur de la Condamine.


Notre dossier complet à retrouver dans notre édition Monaco-Matin du 10 janvier 2022.

L’État monégasque a injecté plus de 141 millions d’euros pour le CTTR. Photo drone Sébastien Botella.

Le retour salutaire des aides économiques ?

Véritables bouées de sauvetage pendant près de deux années de crise sanitaire, les aides financières de l’État ont permis au microcosme économique monégasque de survivre. D’éviter les faillites en cascade.

Il y a eu le Chômage total temporaire renforcé (CTTR), pour lequel le gouvernement princier a injecté plus de 141,40 millions d’euros, le dispositif d’exonération partielle des charges patronales ou encore les prêts garantis par l’État.

Aides supprimées le 31 décembre dernier

Les indicateurs d’une reprise économique ont poussé l’exécutif à mettre un terme, le 31 décembre, à ces deux premières aides.

Avec l’instauration du travail à distance pour ce mois de janvier, et l’absence criante d’une précieuse clientèle de pendulaires, bon nombre de restaurateurs interrogés réclament le retour de celles-ci.

Sollicité sur ce sujet par Monaco-Matin ce vendredi, le ministre d’État Pierre Dartout a répondu: "Les mesures que nous sommes amenés à prendre ont pour but de protéger la population mais aussi de faire en sorte que l’économie monégasque demeure dynamique. Nous ne fermons donc pas la porte à d’éventuelles aides pour les entreprises en difficulté."

Peu avant la Fête nationale du 19 novembre, le prince avait d’ailleurs eu ces mots sur le CTTR dans les colonnes de Monaco-Matin. "Si la situation devait être à nouveau problématique, bien sûr qu’il sera envisagé de le reconduire. Il concerne aujourd’hui quelques centaines de personnes."

Habituellement, 23.000 voyageurs par jour transitent en gare de Monaco contre 9.000 la semaine dernière. Photo Monaco-Matin.

Baisse de fréquentation

Sur la route

C’est un précieux indicateur pour mesurer l’impact du télétravail à Monaco: la fluidité de la circulation. Depuis le 3 janvier, il est plus aisé d’accéder à la Principauté. Chaque jour en moyenne, du 3 au 6 janvier, plus de 91.000 véhicules sont entrés et sortis du pays. C’est 10% de moins qu’en janvier 2019, avant la pandémie, mois pendant lequel près de 100.000 véhicules étaient recensés chaque jour.

Source : Centre intégré de gestion de la mobilité.

En gare de Monaco

Hors pandémie, la fréquentation moyenne de la gare de Monaco est d’environ 23.000 voyages par jour (en semaine, hors période de congés scolaires). Entre le lundi 3 et le mercredi 5 janvier, celle-ci s’élevait à 9.000 voyages par jour.

Source: Direction de la prospective, de l’urbanisme et de la mobilité.

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