Il y a des bulletins trimestriels de l’économie monégasque plus marquants que d’autres. Le bilan des mois d’avril, mai et juin l’est tout particulièrement, la période englobant à la fois un mois complet de confinement et la reprise progressive de l’activité, selon les secteurs concernés.
Autant dire que les chiffres présentés lundi au Ministère d’État par Sophie Vincent, la directrice de l’Imsee, et commentés par les deux conseillers-ministres directement concernés – l’Économie et les Affaires sociales – étaient très attendus, à la fois par le monde de l’économie et le gouvernement princier.
Le bilan général va de soi: "Les chiffres ne sont pas aussi bons que ceux de l’an dernier", "des contre-performances étaient attendues", "Monaco doit continuer à accompagner les acteurs économiques qui souffrent".
Voilà, en substance, ce qu’en pense Jean Castellini, le conseiller-ministre des Finances et de l’Économie.
Voici, dans le détail, les principaux enseignements de cette photographie de l’économie monégasque au deuxième trimestre 2020.
1. Les mauvaises nouvelles
- Le chiffre d’affaires global de la Principauté (hors activités financières et d’assurance), comme prévu, est en recul de 12,9 %, accusant une baisse de près d’un milliard d’euros à fin juin, comparé à la même période de 2019. Évidemment, entre le confinement et l’annulation des épreuves automobiles en particulier, le coup porté aux rentrées financières est rude. « Nous retrouvons le niveau de chiffre d’affaires de 2016 », commente Sophie Vincent.
- Le commerce extérieur (hors France) est en chute libre: les achats en baisse de 51 %, et les ventes de 36,7 %. Les transactions avec l’Union européenne sont en baisse, mais les exportations (-33 %) ont mieux résisté que les importations (-41 %).
C’est la conséquence mécanique de la fermeture des frontières. La directrice de l’Imsee indique que, là aussi, "après deux excellentes années, on retrouve un niveau légèrement inférieur à 2016-2017". La balance commerciale accuse ainsi un déficit global de 63,2 %.
À noter quelques éclaircies dans ce ciel assombri par la Covid-19 : la Suisse reste le premier client de la Principauté (+7,8 % d’exportations) et la Chine devient son premier fournisseur (+50 %). Dernière précision: les importations en provenance des États-Unis ont doublé.
- L’emploi dans le privé enregistre un recul de 13,8 %, soit une perte de 8.000 emplois. Les secteurs les plus touchés sont, sans surprise, l’hébergement et la restauration (-36,4 %), Ceci étant, une embellie commençait à se profiler à la fin du trimestre puisque le nombre d’emploi remontait de 13,2 % en juin, par rapport à mai 2020. Une tendance très marquée dans le secteur de l’hébergement et de la restauration, déconfiné début juin, dont les effectifs ont augmenté de 74 % entre mai et juin.
- L’immobilier plonge, après un premier trimestre où le secteur tirait son épingle du jeu. D’avril à juin, seulement quatre appartements neufs ont été vendus, soit une baisse vertigineuse de 85,7 % par rapport à 2019. Les reventes, en revanche, sont strictement identiques à 2019, avec 193 transactions, même si elles diminuent en valeur (-8,9 %). Une explication: un an plus tôt, sur les 193 reventes, on comptait sept villas ou immeubles qui avaient tiré vers le haut le montant global des transactions.
2. Les (relatives) bonnes nouvelles
- Les créations et radiations d’entreprises repartent à la hausse en mai. Ça, c’est encourageant. Paradoxe de la période : Monaco constate une baisse des radiations par rapport à 2019 (208 contre 268), qui s’explique par le déploiement d’aides publiques exceptionnelles aux entreprises. Bon, bien sûr, le nombre de créations d’entreprises dégringole (-28 %, après -54 % de mars à mai).
- La finance traverse la crise sanitaire assez sereinement. Sur les douze derniers mois, le montant des actifs des banques est positif (+2,2 %), notamment grâce à une nette augmentation du montant des crédits octroyés (+8,3 %) et des dépôts (+3,1 %). Sur le deuxième trimestre, le montant des actifs suit une tendance à la hausse (+1,3 %).
Emploi et flexibilité: la grande réflexion
À la fin de la semaine dernière, on dénombrait 25 plans sociaux portant sur 307 salariés. Ce sont les derniers chiffres révélés lundi par Didier Gamerdinger.
Le conseiller-ministre des Affaires sociales et de la Santé note toutefois une baisse du nombre de demandeurs d’emploi depuis le mois de juin, liée à une reprise sensible de l’activité cet été. Il estime aussi que "le CTTR a bien joué son rôle de bouclier.
Le dispositif du Chômage total temporaire renforcé se poursuit jusqu’à fin octobre. Mais d’ores et déjà, le gouvernement pense à l’après: "Nous travaillons avec les partenaires sociaux sur la flexibilité du temps de travail", indique Didier Gamerdinger.
En gros, gouvernement, représentants patronaux et syndicats de salariés planchent sur le dispositif suivant : sur une période de neuf à douze mois, les employés travailleraient moins quand l’activité est au ralenti, sans perdre un centime de salaire, et mettraient les bouchées doubles à la haute saison, réalisant alors les heures non effectuées.
Le gouvernement pousse dans ce sens, en plaçant des garde-fous: une durée de travail hebdomadaire ne dépassant pas le plafond légal (entre 46 et 60 heures selon les cas) ; la signature d’un accord de branche ou d’entreprise.
Où en sont les discussions? "Il faut trouver des solutions novatrices et rapides pour sauver l’emploi, répond le conseiller. Nous tenons une réunion par semaine avec les partenaires sociaux. Nous allons leur présenter un texte qui, après accord, sera transmis au Conseil national. Il pourrait être applicable mi-octobre."
Un délai ultra-court. Encore faut-il que les syndicats soient d’accord. L’USM n’y serait pas favorable, la F2SM serait plus ouverte à l’idée, d’après le conseiller-ministre des Affaires sociales.
Un déficit à 160 millions d'euros?
Après avoir posé son regard et livré ses commentaires sur les chiffres de l’Imsee, Jean Castellini s’est tourné vers l’avenir. En s’intéressant singulièrement aux conséquences de la crise sanitaire sur le budget rectificatif 2020. À fin juin, le déficit budgétaire s’établissait à 270 millions d’euros.
"Vendredi dernier, nous avons déposé un nouveau budget rectificatif. Le déficit final devrait tourner autour de 160-165 millions d’euros", expose le conseiller-ministre des Finances et de l’Économie. Un regain d’optimisme qui s’explique par des recettes meilleures que prévu, notamment de TVA immobilière, et une baisse moins forte de la TVA à la consommation en raison d’une "bonne tenue de l’hôtellerie-restauration cet été".
Pour étayer son propos, Jean Castellini a rappelé ce que l’épidémie de coronavirus avait coûté aux finances publiques de la Principauté, à ce jour: environ 100 M€ de CTTR, 40 M€ d’aides diverses et variées aux entreprises (RME, AS, Care), 50 M€ au titre du fonds de garantie. Et à cela s’ajoutent les 75 M€ du Plan de relance (notre édition du 11 septembre).
Le conseiller tient enfin à se "garder de tout optimisme". "Le gouvernement reste vigilant et pragmatique. L’épreuve n’est pas terminée. Loin de là."
Personne n’en doute.
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