Revenons un peu sur l’engouement que suscite le CES de Las Vegas. Chaque année, depuis vingt ans, l’innovation gagne, rouge ou noire, paire ou impaire. Et les Français s’y pressent, ce qui me réjouit forcément, puisque c’est moi qui ai eu le plaisir lors des Assises de l’Entrepreneuriat en 2013, de lancer l’idée d’une vraie délégation au CES, car on n’y rencontrait aucun Français à l’époque!
C’est donc un peu mon bébé. Un bébé qui a bien grandi puisque la France est désormais la plus importante délégation étrangère à Vegas. Ce qui nous pose donc une question existentielle. Nous avons Vivatech à Paris où 90% des visiteurs sont tricolores. Au CES, le monde entier est présent. Nous avons des startups magnifiques en France, et elles partent toutes aux Etats-Unis (ou presque). Pourquoi?
Nous avons les moyens
d’avoir plus d’ambition
Il y a quelques années, Emmanuel Macron a déclaré, copiant sans vergogne le slogan d’Israël, que la France était la Startup Nation. On n’osera pas lui demander s’il désire "emmerder" les startups non vaccinées, mais en attendant, être une Startup Nation n’a d’intérêt que si vous pouvez devenir un géant mondial. Israël sait le faire.
Pas nous. Pas faute de talent. Pas faute de vision. Faute de plusieurs éléments, dont certains ne sont la faute de personne. Tour rapide de ce qui manque à la France et l’Europe pour être une Giant Nation.
Pas de bras,
pas de chocolat
Sans finances, pas de géants. La France qui compte désormais 25 licornes se place très bien en Europe. Mais fait office de nain par rapport aux autres. Nous avons des valorisations trop basses, pas assez d’investisseurs qui fassent vraiment du seed (amorcer des sociétés qui n’ont qu’un PowerPoint et pas de chiffre d’affaires).
Ainsi, ceux qui ont une idée et souhaitent de l’argent, vont le chercher ailleurs. Ensuite, quand vous cherchez 100, 200 millions, il n’y a plus personne. Il faut aller ailleurs.
L’arrivée de Softbank change un peu la donne, avec 1 Md€ à investir chaque semaine en Europe. Le géant japonais a été l’investiseur de l’année de 2021 dans la French Tech avec plus d’un demi-milliard de dollars dans Sorare (680 millions), mais aussi dans ContentSquare (500 millions), Vestiaire Collective (210 millions) et Swile (200 millions. Mais pas encore assez vite.
État pingre, sociétés malingres
Nous avions milité avec Arnaud de Montebourg (eh oui, Montebourg!) pour sortir les achats de l’État de la coupe de Bercy, du budget pour être plus précis. Ainsi débarrassés de la contrainte annuelle, l’État et les services publiques auraient pu investir dans l’innovation qui coûte au départ mais qui est source d’efficacité et d’économie sur le moyen terme. Peine perdue.
Aux Etats-Unis, 20% des appels d’offres sont réservés aux PME, innovantes notamment. On appelle cela le Small Business Act. Une partie aux minorités également (femmes – elles apprécieront le terme –, vétérans, certaines nationalités...). Au lieu d’investir dans ces startups, on leur donne du chiffre d’affaires. Autrement plus redoutable pour le long terme. Nous n’avons pas su le faire.
État aveugle, avenir en impasse
Tout le monde pensait que Macron changerait la donne sur le digital en France et pousserait, avec l’aide de Breton, en Europe. Nous sommes à moins de 80 jours du premier tour des élections présidentielles, et il n’a fait que prôner une politique ridicule de 30 Mds€ sur cinq ans (soit 6 Mds€ annuels) qui tient plus du pourboire que de l’investissement. Nous n’avons pas de politique digitale, de politique sur l’espace, sur le quantique, sur l’intelligence artificielle… ni en France, ni à l’échelle européenne et c’est dommage.
Le ticket d’entrée est à 100 Mds minimum. Pas en cinq ans. Par an, pendant au moins trois ans. On se mettrait ainsi au niveau de la Chine ou des Etats-Unis. Qui, eux, sortent renforcés de la crise du Covid pendant que la France arrive, sur tous les critères, en bas du classement.
Size matters
Eh oui, la taille importe. Nous n’y pouvons rien. Nous ne sommes que 68 millions, pas 380. Les USA ont un territoire énorme, unis par la langue, pas l’Europe qui n’est unie que sur le papier, mais pas pour les entrepreneurs. Idem pour la Chine qui est un continent à elle seule avec 1,3 milliard d’individus. Nous pourrions faire bien mieux en Europe, mais la technocratie, que j’appelle "technocrassie" nous en empêche.
Il y a d’autres raisons comme celle du principe de précaution, "cadeau" anti-innovation, de la présidence de Jacques Chirac, et catastrophe pour la France sur tant de sujets.
Peut mieux faire
C’est ainsi que des belles licornes, de vraies licornes sont soit nées outre-Atlantique, soit s’y sont transportées.
REEF. 5 milliards de dollars de valorisation. 80.000 personnes. Fondée à Miami, faute de qui que ce soit pour croire en eux en France. Softbank vient de remettre 500M$ dans le nourrain. Une boîte folle.
Content Square, notre Marseillais préféré. Installé à New York, où il vient de lever 500M$ qu’il n’aurait pas trouvé chez nous.
A ce jour, la plupart de nos licornes ont été financées (au départ) par des étrangers, mais les fonds français ont fait des progrès, mais sur les levées suivantes, nous n’avons personne capable de suivre. Ou plutôt, nous pourrions, mais ne le faisons pas.
Certains se tournent vers les ICO [Initial Coin Offering, levée en tokens, ndlr], avec un certain succès, telle AKT en France qui s’étend dans le Sud de la France.
Mais cela ne suffit pas. Les régions sont à la tête de fonds qui, souvent, abondent sur la partie privée mais cette dernière est trop faible pour que cela fasse la différence. Pourtant, cela s’améliore tous les ans. A une vitesse suffisante pour coller à la roue des Israël, USA, Corée ou Chine? Non!
Finalement nombre de beaux succès, comme Criteo, entrés au Nasdaq, sont quand même restés très ancrés en France, y embauchent et paient des impôts. Nous avons les moyens d’avoir plus d’ambition.
Un mot introuvable dans les discours des différents candidats déclarés ou non. On ne peut pas consacrer ses forces à "emmerder" une partie de sa population et s’occuper de l’avenir de tous. La distraction l’emporte sur la vision. Prions, on ne sait jamais!
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