« Moi, mon patron c'est Bercy et ma société de facturation c'est Logita, ex-Seita, autrement dit l'État », indique Ludovic, buraliste niçois, pour souligner « l'hypocrisie de ce système ». Comme beaucoup de ses confrères il vend des cartes de paiement. La fédération des buralistes est même actionnaire minoritaire de la société qui commercialise la carte Nickel, l'un des principaux opérateurs du marché. « Pour nous, c'est un produit de diversification qui compense la chute du tabac », explique Christian Walosic, le président des buralistes azuréens.
Un « produit » aujourd'hui tout autant décrié que la nicotine depuis que le parquet de Paris a annoncé que ces cartes prépayées ont servi à l'organisation des attentats du vendredi 13.
Voilà qui n'étonne guère Ludovic, pas dupe des « bateaux » que lui servaient certains de ses clients. « Ils disaient que c'était pour jouer au PMU, ou pour payer l'hôtel avec leur maîtresse… Surtout au début, il y a deux ou trois ans. Certains déposaient 3 000 ou 4 000 euros de cash sur le comptoir. D'autres y passaient une demi-heure pour créditer la vingtaine de cartes en leur possession : 200 e sur celle-là, 450 e sur celle-ci… Ils faisaient bien attention à ne pas dépasser les montants maximums pour rester anonymes. Il y avait les tapins, aussi. Et même ce gars qui m'en a pris tout un lot pour que son cousin puisse cantiner… En prison ! »
Des usages dévoyés de ces cartes de paiement, Ludovic le dit sans tabou : « Il y en a et tout le monde le sait ». À commencer par son « patron », l'État. « C'est ainsi dans la société d'aujourd'hui, dès qu'il y a une faille, il ne faut pas deux heures pour que certains trouvent le moyen de s'y engouffrer », souffle le buraliste niçois. « Pourtant ces cartes ont une vraie utilité, reconnaît-il. J'ai des amis, en instance de divorce qui y ont eu recours. Vous savez comment c'est les divorces… Ça se passe rarement bien. Ils se sont retrouvés avec leurs comptes bloqués. Ça les a vraiment aidés à s'en sortir. Il y a aussi beaucoup de gens interdits bancaires qui les utilisent. Pour eux, c'est bien. »
De l'autre côté du comptoir et dans un autre tabac du quartier, Malik avoue être client : « J'en ai une, c'est pour mes achats sur Internet, confie-t-il. Au moins, si je me fais pirater, je suis sûr qu'ils ne me prendront pas plus que le montant que j'ai crédité sur ma carte. Je l'ai passé à ma fille, aussi, lorsqu'elle est partie en voyage scolaire à Londres. C'est quand même plus pratique que de confier du liquide à des enfants. Et en cas de problème, j'aurais pu remettre de l'argent sur sa carte. » Pourtant, Malik lui non plus n'est pas dupe : « Je sais que certains s'en servent pour faire des achats sur Cdiscount. Ils payent le premier versement, se font livrer à une adresse quelconque… Et évidemment lorsque les échéances suivantes arrivent, il n'y a plus rien sur la carte ! »
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