Vendredi soir au Printemps des arts, le très bon Quatuor Tana est venu de Paris. Il a déposé ses valises à l'hôtel, s'est muni de ses instruments et s'est rendu dans la salle - comble - du Yacht-club. Ses musiciens ont accordé leurs instruments comme cela se fait au début de chaque concert, ont ouvert leurs partitions et les ont placées sur leurs pupitres. Ces partitions, comme toutes les partitions musicales, comportaient des portées et des mesures. Mais il n'y avait pas de note ! Il n'y avait rien à jouer !
4 minutes 33 secondes de silence
Alors, ils ont placé leur archet sur leurs instruments et sont restés figés dans le silence.
Le public se demandait ce qui arrivait. Les musiciens ont parcouru des yeux le premier mouvement de la partition, qui était un mouvement rapide (allegro). Puis, ils ont tourné la page, sont tombés sur un mouvement lent (andante) qui ne comportait pas plus de notes que le précédent. Ils ont donc continué à rester silencieux. Même chose avec le troisième mouvement qui était un « final » rapide mais était également sans note ! Le silence se poursuivait.
Cela a duré exactement 4 minutes 33 secondes. Car tels étaient la durée et le titre de cette œuvre imaginée par le compositeur américain John Cage. Ses descendants recevront certainement des droits d'auteur !
« Ils sont payés pour ça ! »
Le public resta muet au début, puis des murmures et des rires étouffés parcoururent la salle. Des toussotements également. Les plus polis s'arrangèrent à tousser entre les mouvements, comme cela se fait dans les concerts comme il faut ! Un homme, dans la pénombre, bougonnait « C'est inadmissible ! Ils sont payés pour ça ? Je vais me plaindre ! » Mais il n'a pas haussé davantage la voix.
Et ainsi s'est achevée, sous les applaudissements, la pièce intitulée « 4'33 » de John Cage.
Le Quatuor Tana, très versé dans la musique contemporaine - il a, paraît-il, cent cinquante créations à son actif - a profité de sa venue à Monaco pour interpréter également un quatuor avec dispositif électroacoustique d'Adamek ainsi que le 1er quatuor de ce génie espagnol mort à 20 ans, qu'était Juan Arriaga. Il a joué cette œuvre avec une admirable douceur.
En deuxième partie du concert, on a entendu le Quatuor Signum jouer avec une classe admirable deux quatuors de Haydn et de Beethoven. Voilà deux génies ! Mais combien de compositeurs, à travers l'Histoire de la musique, devraient savoir, comme John Cage, garder le silence plutôt que de nous imposer leurs œuvres !...
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