En exposant quarante ans de photographies d’Helmut Newton à la Villa Sauber et à quelques jours de remplir les salles de la Villa Paloma des créations de Christian Bérard, le Nouveau Musée National de Monaco est au diapason d’une saison culturelle étincelante en Principauté après deux années compliquées.
L’occasion pour Björn Dahlström de montrer pleinement ses ambitions et ses attentes. Un an après avoir pris la suite de Marie-Claude Beaud à la tête du NMNM, le directeur s’est pleinement immergé dans le bain culturel monégasque et a tissé son réseau, "de façon plus simple qu’ailleurs" assure celui qui a construit sa carrière à l’international, dirigeant notamment les musées de la Fondation Yves Saint Laurent avant sa venue en Principauté.
À Monaco, il apprécie "ce contexte extrêmement cosmopolite. J’aime me promener dans la rue et entendre parler allemand, anglais, arabe". Une singularité nationale qu’il chérit de la même manière qu’il aime se pencher sur le travail d’artistes qui ont croisé le chemin de la Principauté. Et espère en faire venir d’autres. Interview
Après une bonne année à la tête du NMNM, comment se déroule votre acclimatation au microcosme culturel monégasque?
Je n’arrivais pas totalement en terre inconnue. Je faisais partie du comité scientifique du Musée, je venais voir les expositions, j’ai assisté à toute cette transformation, du musée des poupées jusqu’au NMNM tel qu’on le connaît. La passation, en elle-même a été douce dans le contexte compliqué de la pandémie. Diriger un musée c’est faire partie du tissu social, rencontrer des gens, créer de l’adhésion, expliquer le projet qui est toujours pour moi en cours de mutation. À mesure que la pandémie a été dépassée, c’était plus simple d’interagir socialement.
Interagir aussi vis-à-vis du public qui commence à découvrir votre travail...
La Principauté est une véritable mosaïque avec des gens extrêmement aguerris aux formes les plus contemporaines de la création, d’autres pas du tout. Dans une même journée, on a donc à faire à un spectre très large de gens qui n’ont pas le même rapport à la création et à l’art. C’est intéressant et c’est pourquoi nous faisons un travail auprès des écoles pour les inviter à voir le monde différemment. Le Pavillon Bosio compte aussi beaucoup dans notre démarche, c’est notre premier public critique. Ce sont des partenariats que je veux poursuivre. En arrivant à Monaco, j’ai vite constaté que nous étions trop petits pour travailler chacun de notre côté.
L’idée est de s’ouvrir davantage aux autres institutions?
Un exemple, je suis allé voir à mon arrivée, Sylvie Biancheri (directrice générale du Grimaldi Forum N.D.L.R.) qui m’a parlé de l’exposition Christian Louboutin qu’elle préparait pour l’été. Nous avions déjà prévu l’exposition consacrée à Christian Bérard et j’ai pensé proposé ce projet sur Helmut Newton. Cela crée comme un fil rouge autour de l’univers de la mode. Pour l’été 2023, j’envisage d’inviter le peintre George Condo qui a déjà collaboré avec les Ballets de Monte-Carlo pour la conception d’un rideau de scène. Il concevra une exposition très spécifique pour Monaco. C’est comme cela que ça a toujours fonctionné en Principauté et j’entends continuer dans cette dynamique. En mettant en valeur le travail d’artistes qui ont une appréhension extrêmement large de la création pour toucher toute la communauté culturelle monégasque.
Cet été vos deux expositions font justement écho à des artistes qui ont évolué en Principauté…
Je ne tiens pas, toujours, à me retourner vers le passé. La mission du Musée est de montrer ce qui s’est fait ici, d’ancrer notre programmation dans cette géographie. Tout en continuant d’accueillir des artistes intéressants qui puissent produire in situ. C’est le travail fait par la direction des Affaires culturelles avec ses ateliers. Pour que les artistes viennent, il faut qu’ils puissent vivre ici et ce n’est pas à la portée de tous. Tout le monde n’est pas Newton, qui est arrivé à Monaco en 1980 et avait des moyens considérables. Je trouve intéressant qu’il y ait un patrimoine contemporain qui se mette en place grâce à tous les facilités qu’on peut imaginer pour prendre en compte cette singularité de Monaco.
Sous quelle forme?
L’idée est de mettre les choses en perspective. On a une identité, une collection à l’image de ce pays, comptant principalement des costumes de scène, des décors, des maquettes de spectacles. Mais aussi une collection contemporaine très riche constituée par Jean-Michel Bouhours puis Marie-Claude Beaud. On va continuer mais si on ne collectionne que le passé, comment on se réinvente ? Il faut vivre avec son temps. C’est l’ADN de cette institution : continuer à inventer. Et c’est pourquoi je suis venu.
La vaste collection des arts du spectacle peut sembler comme un poids mort car elle mobilise de lourds moyens pour la conserver et la restaurer. Comment envisagez-vous de la montrer?
Nous continuons les chantiers de restauration. C’est tout un travail qu’on ne voit pas, coûteux, qui se fait depuis des années. L’idée à terme serait de pouvoir montrer ses pièces ici à Monaco. Nous avons mis aussi un inventaire en ligne pour mieux faire connaître notre collection, car il y a de plus en plus d’intérêt pour le patrimoine textile. Et prêter nos collections c’est intéressant. Exister pour un musée, ce n’est pas forcément chez soi, c’est aussi ailleurs. Et pourquoi pas avec une exposition itinérante à l’avenir? Nous y réfléchissons, mais ce sont des projets lourds qui nécessitent un vrai suivi.
À son départ, Marie-Claude Beaud regrettait de n’avoir pas pu mener à bien le projet d’extension de la Villa Sauber. Comment progresse ce dossier?
Il est encore trop tôt pour en parler précisément. C’est en phase d’étude, mais je suis optimiste.
Cette extension sera-t-elle suffisante ou espérez-vous, un autre lieu en Principauté?
On peut toujours espérer. Mais il faut raison garder, on est à Monaco, on ne peut pas construire un musée de 20.000 mètres carrés. Même si nous aurions de quoi le remplir avec les 10 000 pièces de notre collection.
Les lieux de culture accusent mondialement une baisse de fréquentation. Les musées peuvent-ils résister à ce phénomène?
Des études montrent en effet que la consommation de la culture reste digitale. Certaines institutions culturelles gardent la tête hors de l’eau. Pour d’autres c’est dur. J’ai bon espoir que le public reprenne l’habitude d’aller au musée. Une exposition d’art ça se vit, ce n’est pas du digital. En termes de programmation d’ailleurs, je veux que l’on colle à une forme de saisonnalité. Avec des expositions un peu plus grand public l’été et plus pointues en hiver pour mener un travail de pédagogie avec les écoles.
Que répondez-vous à ceux qui jugent les expositions du NMNM trop élitistes?
Est-ce que la culture est élitiste? Non. L’art, comme toutes les disciplines, demande à être ouvert, nécessite une forme de curiosité, un investissement personnel, un accompagnement. Ce n’est pas parce qu’on peut voir qu’on a la capacité automatique de dire que c’est bien ou pas. J’ai toujours été frappé par le fait que tout le monde émet des avis sur l’art, de manière très définitive, sans penser à la façon dont une œuvre s’inscrit dans l’Histoire. Il y a quarante ans, on aurait fait une exposition sur Helmut Newton, on se serait pris des tomates. Aujourd’hui c’est une star. Personne n’est obligé de s’intéresser à l’art, mais on peut être curieux. Et il faut qu’on aille chercher les gens. Ma mission est d’être ouvert au maximum de public. Cela demande une mobilisation constante. Notamment auprès des écoles pour forger un regard, un goût. J’en ai d’ailleurs bénéficié, enfant, par l’école.
En une décennie, le NMNM s’est fait une place dans la carte mondiale des institutions culturelles. Comment maintenir cette position aujourd’hui?
Marie-Claude Beaud a su faire cette place et je l’en remercie. Je ne suis pas Marie-Claude Beaud, mais j’ai été formé par elle, je me sens bien dans ses pas et j’entends maintenir cette excellence. En continuant à inviter des artistes, en développant des partenariats avec des institutions dans le monde entier, qu’elles soient importantes ou plus pointues, mais qu’elles résonnent avec nous. C’est comme cela que l’on peut continuer à rayonner en maintenant aussi l’exigence dans nos programmes.
Vous avez étudié à l’École du Louvre, établissement connu pour former la classe des personnels de musées. À quoi doit ressembler un musée au XXIe siècle selon vous?
Il n’y a pas de recette miracle. Chaque musée à son contexte, ses collections. Il faut à chaque fois trouver le bon équilibre pour savoir à qui on parle, à qui on veut parler. Pour faire un bon musée il faut comprendre ou l’on est. Et j’y travaille!
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