INTERVIEW - Jean-Christophe Maillot à cœur ouvert avant le grand retour des Ballets de Monte-Carlo en Principauté
Les Ballets de Monte-Carlo sont de retour, du 25 au 28 avril au Grimaldi Forum, avec la création "Core meu" de leur chorégraphe-directeur, qui met son plaisir et son énergie dans cette pièce. Entretien avec un homme épanoui qui veut "mettre en avant la dimension festive de la danse et le plaisir de la communion"
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Cédric VéranyPublié le 18/04/2019 à 11:55, mis à jour le 18/04/2019 à 12:12
Le chorégraphe s’est livré à quelques jours de la première.Jean-François Ottonello
C’était un soir d’été 2017. Pour la première édition de la F(ê)aites de la danse. Jean-Christophe Maillot créait un ballet inspiré par la musique d’Antonio Castrignano, qui distille des airs traditionnels de la région des Pouilles.
Deux ans plus tard, cette création retravaillée et rallongée devient "Core meu". Un ballet que le chorégraphe directeur de Ballets de Monte-Carlo ajoute à son répertoire et qui sera dansé du 25 au 28 avril sur la scène du Grimaldi Forum pour la première fois, comme un prolongement "de cette sensation de bonheur que l’on a eu pendant huit heures en 2017", confie-t-il.
Le programme de ce retour des Ballets en Principauté - intitulé Corpus - s’ouvrira avec une pièce du chorégraphe espagnol Goyo Montero, plus sombre et abstraite, en prélude de la nouvelle création de Maillot qui s’annonce solaire.
Comme un cadeau aussi aux fidèles des Ballets qui se languissaient de retrouver les danseurs après une absence déplorée lors des fêtes de fin d’année, alors que la troupe était en tournée en Grèce. "Il y a cette envie de proposer ce spectacle à partager, comme le plaisir de boire un très bon vin", promet Jean-Christophe Maillot, qui se livre sur sa carrière, sa troupe et ses états d’âme de créateur.
Pourquoi avoir retravaillé cette création du 1er juillet 2017 ?
Je me disais que c’était dommage de ne l’avoir joué qu’une fois. Même si notre métier a pour essence d’être éphémère, une fois c’est peu ! Et j’avais une petite frustration car c’était un spectacle conçu pour cette occasion particulière avec ces quatre scènes dos à dos voulant mettre en avant la dimension festive de la danse, le plaisir de la communion. En replaçant ce ballet dans un contexte frontal comme au Grimaldi Forum, c’était un moyen d’aller chercher la dimension mélancolique de cette musique, qui est plus profonde qu’elle n’y paraît. Face au désespoir, elle donne l’énergie. Il y a quelque chose de dionysiaque dans la pièce.
On peut imaginer que le public voudra se lever et danser ?
Peut-être ! Il faut être sacrément frustré pour ne pas prendre de plaisir à le regarder [rires]. Cette pièce appelle un rapport primitif à la danse, comment on ne peut pas résister à une écoute musicale et on se sent obligé de se mettre en mouvement. Antonio Castrignano a écrit de nouveaux morceaux pour le spectacle, les dix musiciens seront en live sur scène, et nous transmettent une énergie incroyable. En plus, c’est la première fois que j’ai toute la compagnie sur scène – à l’exception de trois blessés – et c’est très agréable !
"La pièce la plus joyeuse, jouissive et généreuse"
Vous évoquez un hommage à Maurice Béjart. Dans quel sens ?
Il y a des clins d’œil, que les spécialistes pourront voir, à des ballets très connus de Béjart. Comme lui, j’aime profondément les danseurs et la danse pour moi reste plus importante que la chorégraphie. Cette création lui fait écho dans le sens où on ne s’autorise plus des spectacles avec le plaisir de mettre sur scène des gens beaux, enthousiastes, donnant une image forte de ce que peut être le privilège de la jeunesse, du bien-être, de la joie. Il n’y avait que Maurice qui avait osé faire des spectacles de ce genre. Comme les Danses grecques et le Boléro. C’est quelque chose qui n’est tellement pas au goût du jour, mais quand on arrive près de la soixantaine comme moi, qu’on a fait plus de 80 ballets, que l’essentiel est derrière nous, on peut se permettre de faire ce qui nous semble plus important. Il y a cette envie d’être vivant. Et ça m’a pris du temps pour arriver à ça.
On ressent dans vos propos une envie de se faire plaisir ?
Tout à fait. En essayant de trouver l’équilibre le plus parfait possible entre le plaisir du danseur, le plaisir du spectateur et le plaisir du chorégraphe, qui ne vont pas souvent de pair. Il manquera peut-être le plaisir de la critique, car ce n’est à mon avis pas le genre de pièce qui peut la satisfaire. Je pense que c’est la pièce la plus joyeuse, jouissive et généreuse que j’ai pu faire en bientôt quarante ans de carrière… Déjà !
"se faire du bien
en se faisant un peu de mal"
Ça passe vite ?
Oui ça passe vite et en même temps, dans notre compagnie chaque année est une vie. Entre les nouveaux danseurs, les programmes et les tournées qui ne se ressemblent jamais. Je m’aperçois au fil des années que j’ai beaucoup chorégraphié car ça me permettait de continuer à danser. Je chorégraphie ce que j’aimerais moi-même danser. Je compense une frustration, que je n’ai jamais eu à vrai dire et je me suis toujours demandé pourquoi, d’avoir été obligé de m’arrêter à 21 ans à cause d’un accident au genou alors que j’étais amené à faire une belle carrière de danseur. Je n’ai jamais eu la frustration, finalement, parce que j’ai chorégraphié…
Comme un besoin animal ?
Je pense oui, viscéral, primitif. C’est là ou c’est intéressant de retrouver cette musique d’Antonio Castrignano, traditionnelle et folklorique. J’ai beaucoup utilisé le vocabulaire folklorique d’ailleurs dans l’écriture car c’est une racine. La danse a cette dimension primitive, de la tarentelle, des derviches tourneurs. Cette idée de transe dans le plaisir d’aller physiquement au bout de soi, se faire du bien en se faisant un peu de mal.
"on passe trop de temps à s'occuper de ceux qui ne nous aiment pas"
La musique toujours une porte d’entrée pour créer ?
Pas toujours, mais pour l’écriture d’une chorégraphie oui. Il n’y a pas un pas dans ce qu’on va voir qui aurait pu exister sans la musique. La naissance du mouvement est toujours générée par ce que la musique provoque. Je ne peux pas aller contre. C’est ce qui est souvent difficile. Sur une tarentelle, ça donne des pas à 200 km/h. Mais ça ne me déplaît pas. Je suis un artiste plutôt du trop-plein. L’épure n’est pas évidente pour moi, je préfère que les choses débordent. Je m’aperçois d’ailleurs de plus en plus que mon travail est relativement inclassable. Ma destinée est d’être toujours dans un espace qui m’interdit de m’enfermer dans du définitif, qui pourrait amener à une reconnaissance encore plus grande de mon travail, mais qui serait une prison.
La reconnaissance critique vous la recherchez encore aujourd’hui ?
Un artiste veut tout ! Aujourd’hui, ça n’affecte en rien ma carrière que la critique soit bonne ou mauvaise. Ça m’a énormément affecté à une époque car elle avait un pouvoir qu’elle n’a plus aujourd’hui. Et qu’on a envie que tout le monde aime ce qu’on fait. Mais on passe trop de temps dans notre vie à s’occuper de ceux qui ne nous aiment pas plutôt que de s’occuper de ceux qui nous aiment. En fait, c’est une quête désespérée qui n’a pas d’intérêt. Sincèrement aujourd’hui, je n’en souffre pas. Plus on vieillit, moins on a envie d’être sérieux. On a une distance sur les choses, tout ça est superflu. Et le spectacle, en fin de compte, appartient à celui qui le regarde, c’est indiscutable.
"une idéologie
de partage"
C’est important pour vous de continuer à livrer de nouvelles créations ?
Fondamental ! Bien que nous soyons une des rares compagnies au monde à continuer à présenter des spectacles qu’on a créé il y a plus de vingt ans. Cendrillon et Roméo & Juliette, par exemple, datent de 1996 et ne sont ni dépassés, ni poussiéreux. Nous avons créé un patrimoine chorégraphique à Monaco que l’on peut exporter. On n’a jamais été au pic de la modernité, mais on traverse les décennies avec grâce. C’est peut-être, pour moi, la plus grande réussite.
"Core meu" signifie mon cœur, ce n’est pas anodin. Comme un symbole ?
Oui, il ne faut pas chercher à tricher. Toutes mes créations, je peux les identifier à ce que je vivais au moment même dans ma vie personnelle. Alors mon cœur oui, c’est tellement simple et bateau, mais que dire de plus ? Cette création représente ce que je suis, ce que j’aime, ce qu’est cette compagnie et ce qui la rend si particulière. Ce mélange de nationalités, de cultures, de couleurs de peaux, de sexualités qui fonctionne sur scène car nous dansons pour l’autre. Avec une envie commune, une idéologie de partage qui relie les êtres les uns entre les autres. La danse est éminemment politique car elle ne cherche pas à l’être. Et cette pièce n’a pas l’ambition de faire porter aux spectateurs la pesanteur de nos souffrances. C’est une noble mission que d’offrir ça au public.
La troupe travaille depuis deux mois et demi dans son antre ces nouvelles chorégraphies.Alice Blangero.La troupe travaille depuis deux mois et demi dans son antre ces nouvelles chorégraphies.Alice Blangero.
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