Longtemps, Patrick Timsit s’est coltiné une réputation de sale type. La faute à une comparaison entre les crevettes et les "mongoliens", dans un sketch de 1992. Naviguant entre le one-man-show, le théâtre et le cinéma, devant et parfois derrière la caméra, le petit bonhomme rondelet à la voix éraillée n’a jamais vraiment cherché à se refaire une virginité.
Mieux valait jouer les salauds que de se vautrer dans la bien-pensance.
Certains se sont fait une raison et l’ont définitivement rangé dans la case "pas gentil". Les autres l’ont vu évoluer. Plus sage, moins souvent en train de mordre aux mollets? Pas forcément.
En revanche, au fil du temps, l’artiste a su montrer un autre visage. Toujours celui d’un homme constamment angoissé, "par tout". Mais aussi celui d’un esprit plus profond et intéressant.
Au bout du fil, posé et inspiré, Patrick Timsit s’est livré, a réaffirmé sa volonté de dire adieu au one-man-show et de se consacrer à d’autres projets.
Le Livre de ma mère, d’Albert Cohen, vous poursuit depuis longtemps. Pourquoi ce récit vous touche-t-il autant?
Cette complicité totale avec sa mère me parle. Quand ils partent déjeuner pour regarder la mer, avec la nourriture qu’elle déballait discrètement, toutes ces odeurs. Quand ils respirent des grandes bouffées d’air pur, pour faire des provisions pour toute la semaine…
On a eu presque la même mère, Cohen et moi. Le début de notre existence se ressemble aussi.
Cohen, c’était un immigré qui débarquait de Grèce à l’âge de deux ans. Moi, j’avais deux ans, j’étais accroché à la jupe de ma mère en descendant du bateau qui arrivait à Marseille, depuis l’Algérie.
Au lieu de rester à Marseille, comme Albert Cohen, on est allés à Paris. On avait rejoint la famille de ma mère, déjà installée là-bas.
Plus jeune, auriez-vous été capable de lire ce texte en public?
Non. Pour retranscrire les sentiments de ce fils, ses regrets, ses remords, il fallait que le comédien que je suis ait réglé ses questions d’ego.
Il fallait accepter le non-jeu, accepter de vivre ce texte. Le poids de la vie, la maturité, m’ont permis de l’aborder. Je voulais le faire depuis trente ans. J’avais ce rendez-vous, sans échéance précise.
Je m’étais dit: "Toi et moi, on se retrouvera sur scène." J’ai encore ma maman. C’est peut-être ce qui m’a décidé à me lancer dans cette adaptation.
Pour la réussir, je voulais travailler avec quelqu’un que je ne connaissais pas, cela a été le metteur en scène Dominique Pitoiset.
"Je ne pleure pas sur scène"
Comment s’y prendre pour ne pas dénaturer une telle œuvre?
Il faut quand même oser, de temps en temps, adapter les conjugaisons pour transformer cette œuvre littéraire en œuvre dramatique scénique. On ne sait plus si c’est moi ou Albert Cohen qui parle.
On gomme pas mal de références au passé, que ce soit les tramways ou les nazis, même si c’est évoqué. C’est l’émotion pure qui compte, le style direct. On garde la fluidité, les sentiments. Pour faire comprendre la préciosité d’une mère aux fils des mères encore vivantes.
Je ne pleure pas sur scène.
L’émotion me gagne souvent, mais je la refrène. Pour ne pas qu’on pense que c’est un truc de comédien, vous voyez.
Il y a quelques mois, vous expliquiez que vous refusiez de laisser votre mère assister à cette lecture...
Vous savez, même quand vous dites "non" à votre mère, elle décide quand même à la fin.
Elle était venue en cachette plusieurs fois, notamment à la première parisienne. Elle avait peur que j’apprenne qu’elle était là. Mais elle est revenue plusieurs fois, elle m’a aussi accompagnée en tournée.
Là aussi, j’ai évolué, j’ai mûri.
J’avais moins de crainte qu’elle vive mal tous ces textes. Depuis, j’ai été extrêmement heureux de lui rendre hommage de son vivant.
Comment a-t-elle perçu tout ça?
J’ai ressenti énormément de pudeur. Avec ma mère, on a une complicité extrême.
Elle a fait peu de commentaires sur le spectacle. Elle m’a dit qu’elle le trouvait bon et qu’elle avait été heureuse d’y assister. Après, au-delà de la troisième phrase, elle cherchait déjà ses mots. Je n’allais pas la triturer pour en savoir plus. C’est mieux comme ça.
Dans quelques jours (entretien réalisé le 9 juillet, il est né le 15), vous aurez soixante ans, ça vous angoisse?
Je ne peux pas vous dire que ça m’angoisse spécifiquement, puisque tout m’angoisse. Mais on y pense.
Forcément, il y a des choses qui se passent en moi. Je me demande comment ça va se passer. Est-ce que c’est le meilleur moment de la descente qui arrive?
Est-ce que ça va être une dégringolade? Une sinusoïde très douce? Des vagues?
En même temps, c’est une période très heureuse pour moi. Je suis bien dans ma vie privée et dans ma carrière.
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