Mounia Meddour et Lyna Khoudri reconstituent "un puzzle à l’image de l’Algérie qui se reconstruit"
La cinéaste franco-algérienne retrouve son héroïne de "Papicha" et la met dans la peau d’une danseuse obligée de se réinventer à la suite d’une blessure.
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Cédric CoppolaPublié le 15/03/2023 à 17:00, mis à jour le 15/03/2023 à 12:14
Mounia Meddour.Photo AFP
Tout comme "Papicha", "Houria" est un film traversé par la notion d’empêchement et prend place en Algérie. D’où vient l’envie de traiter cette thématique?
Mounia Meddour: Houria est surtout une personne qui résiste. Elle vit dans un pays qui n’est pas forcément facile et doit trouver la force, les ressources et les solutions pour exister et réaliser ses rêves. Sur la société algérienne, il est vrai que nous rencontrons beaucoup de difficultés au quotidien, mais c’est aussi la force des habitants d’Alger qui luttent constamment. En termes d’écriture, cela nourrit la dramaturgie.
Lyna Khoudri: L’Algérie est un pays jeune, qui a de l’autorité depuis son indépendance et a besoin de s’organiser en termes d’infrastructures, d’hôpitaux… Il y a des pôles plus importants que l’art. Du moins, c’est ce que je constate lorsque je me rends là-bas, où j’ai énormément d’amis comédiens, danseurs, scénaristes… Ils sentent qu’ils ne font pas partie des priorités et cela fait naître des frustrations. J’ai puisé dans leur regard, leur volonté de continuer et je me suis rendue à l’école des Beaux-Arts d’Alger où je voyais des jeunes animés par la soif de créer. Au niveau du cinéma, on ressent ce manque avec la suppression de l’organisme qui était l’équivalent de notre CNC [Centre national du cinéma, ndlr]. En soi, il n’y a rien contre les artistes mais ces choix ont un effet boule de neige et on en arrive à ce type de situations, très bien décrites dans "Houria".
Lyna Khoudri, êtes-vous également danseuse ou avez-vous dû apprendre pour ce rôle?
L. K.: Je ne suis pas du tout danseuse. J’avais fait un peu de danse plus jeune mais j’ai arrêté depuis longtemps. Ma chance a été d’avoir une préparation de luxe, avec autant de cours que je voulais! C’était intensif, mais hyper excitant, d’autant plus qu’une chorégraphe incroyable m’accompagnait au quotidien dans un vrai processus créatif. La compositrice venait aussi pour inventer la musique à partir de nos mouvements. J’étais très heureuse, au point que j’aurai pu continuer cette préparation encore deux ou trois ans! La danse exige une grosse discipline mais cela m’a fait du bien et, comme tous les moyens sont bons pour rentrer dans un personnage, je suis allée jusqu’à adopter le même régime alimentaire que les professionnelles. Je voulais avoir le même poids, leurs mimiques... et j’avais décidé de marcher comme elles en extérieur. Au plus je mimais, au plus je me sentais Houria.
Filmer la danse était-il un exercice délicat?
M. M. : C’était complexe. Avec le chef opérateur, on s’est très vite demandé comment on allait filmer les chorégraphies. Je voulais éviter l’effet captation: cela reviendrait à amputer la danse, à la montrer sans en faire ressortir l’énergie déployée. On a donc décidé de fragmenter, en privilégiant selon les moments les mains, le visage, les gestes, les pieds… de façon à créer une sorte de puzzle, à l’image de cette Algérie qui se reconstruit.
Houria se plonge aussi dans le mutisme et, à la suite d’un accident, se retrouve au contact d’autres femmes qui ont aussi subi un traumatisme. Comment est venue cette idée?
M. M. : C’était là dès le début, à l’écriture. La symbolique de la perte de la voix renvoie à toutes ces femmes – en Algérie ou partout dans le monde – qu’on a voulu écarter et qu’on n’a pas voulu écouter et, par conséquent, faire exister. Dans le film, le mutisme sert à trouver une solution pour s’exprimer, en l’occurrence le corps, qui devient ici un élément de langage.
Le fait d’avoir déjà travaillé ensemble a-t-il facilité votre collaboration ou a-t-il fallu, au contraire, éviter de tomber dans la redite?
L. K.: On parlait souvent de notre collaboration. L’idée était de faire à la fois des clins d’œil à "Papicha" et de s’en détacher totalement et, surtout, ne pas oublier qu’on fait le film pour les spectateurs. Notre relation fait qu’on n’a plus trop besoin de se parler. On se comprend immédiatement… Résultat, on allait tellement plus vite qu’on avait l’impression de ne pas avoir assez travaillé, galéré, dans le sens que d’habitude on passe des mois à lire et relire le scénario pour chercher un personnage… Sur "Houria", tout a donc coulé de source et s’est fait facilement.
Lyna Khoudri dans Houria.Photo Houria Ink Connection Highsea Production.
Danse et résilience
L’histoire
Alger. Houria (Lyna Khoudri) est une jeune et talentueuse danseuse. Femme de ménage le jour, elle participe à des paris clandestins la nuit. Mais un soir où elle a gagné gros, elle est violemment agressée par Ali et se retrouve à l’hôpital. Ses rêves de carrière de ballerine s’envolent. Elle doit alors accepter et aimer son nouveau corps. Entourée d’une communauté de femmes, Houria va retrouver un sens à sa vie…
Notre avis
Par son sujet: une jeune danseuse blessée contrainte de renoncer à ses rêves avant de faire preuve de résilience pour envisager un nouvel avenir, "Houria" a de nombreuses similitudes avec "En corps" de Cédric Klapisch, sorti sur les écrans l’an dernier. La différence se situe essentiellement dans le contexte algérien.
Dans son premier long-métrage, "Papicha", où elle dirigeait et révélait Lyna Khoudri, Mounia Meddour travaillait déjà sur la notion d’empêchement et délivrait un film engagé, qui évoquait la condition de son pays, en n’oubliant pas de développer le volet social.
Il en va de même pour "Houria", où elle passe un cap niveau mise en scène, avec des chorégraphies de danses remarquablement filmées et une esthétique gracieuse, à l’image de son héroïne, à la fois forte et fragile.
Malgré tout, le film possède les mêmes travers que son prédécesseur avec une écriture trop balisée et des personnages secondaires présents juste à des fins utilitaires.
De Mounia Meddour (France/Belgique/Algérie).
Avec Lyna Khoudri, Amira Hilda Douaouda, Rachida Brakni... Drame. 1h38.
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