"On n'a pas de pétrole mais on a des idées" : Michel Boeri se confie sur les négociations en cours pour maintenir le Grand Prix de Monaco

Président de l’Automobile Club de Monaco depuis 50 ans Michel Boeri défend bec et ongles la spécificité, le modèle et la puissance d’un Grand Prix dont il négocie actuellement la pérennité.

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Propos recueillis par Thomas Michel Publié le 26/05/2022 à 15:53, mis à jour le 26/05/2022 à 15:53
Michel Boeri est président de l'ACM depuis cinquante ans. Manuel Vitali / Dir Com

Réélu à la présidence de l’Automobile Club de Monaco (ACM) le 12 octobre dernier pour cinq années, Me Michel Boeri célèbre ses cinquante ans à la tête de l’institution monégasque ! Un demi-siècle à plaider le caractère unique du Grand Prix au sommet de la Fédération internationale automobile (FIA) et à façonner un modèle d’excellence à l’image de la Principauté.

Un modèle humain incarné par la cohésion d’un Corps des commissaires de piste devenu référence dans le monde. Un modèle économique avec les quelques 100 millions d’euros de retombées économiques générés dans le pays à chaque Grand Prix. Un modèle sportif avec des pilotes qui n’osent imaginer ne plus batailler un jour à Monaco.

Alors que le contrat liant le Grand Prix de Monaco à Liberty Media, propriétaire de la Formule 1, arrive à échéance, les négociations vont bon train en coulisses. Depuis son bureau du boulevard Albert-Ier, où les plus grands ont défilé pour écrire l’histoire du sport automobile, le Président annonce à Monaco-Matin les prémices d’un accord qui préserverait le savoir-faire de l’ACM et l’image de Monaco. Et comme toujours, Michel « Vaillant » Boeri dompte le verbe comme Charles Leclerc sa Ferrari.

Des négociations sont en cours et vous avez récemment tenu à rassurer le Corps des commissaires de l’ACM en leur garantissant « qu’après 2022, le Grand Prix aura lieu ».Qu’en est-il ?
Nous sommes dans une négociation difficile parce que nous sommes partis d’une négociation de style ‘‘européen’’ avec Bernie Ecclestone, à une négociation plus ‘‘business’’ avec la société avec laquelle nous traitons, qui est purement américaine. Les intérêts et les comportements ne sont pas les mêmes, pas plus que les sensibilités. Ce qui peut heurter l’un est indifférent à l’autre et vice versa. J’ai rassuré les commissaires parce que je crois qu’on négociera. Le seul problème est de savoir à quel prix négocier pour arriver à une conclusion heureuse. Rien n’est jamais acquis mais j’ai connu
Balestre et Ecclestone, je peux encore connaître Liberty.

En quoi le style des nouveaux propriétaires diffère ?
Le style Ecclestone n’existe plus. Aujourd’hui il faut une rentabilité, un profit à faire et éventuellement une revente bénéfique. À l’époque, ce n’est pas que M. Ecclestone fut un philanthrope mais il distribuait ses cartes de façon moins intransigeante. Aujourd’hui tout est une machine à compter. Il n’y aura pas de marche arrière.

Vous aimez ces bras de fer ?
Non. Je suis juste comme un vieux bourgeois. Je suis assis sur mon coffre et je n’ai pas envie qu’on l’ouvre sous mes fesses. On ferait tous la même chose, non ?

Liberty Media se montre trop gourmand ?
Ce n’est pas une question de proportions mais une question de philosophie. Quand les Grands Prix ont été créés en Europe, et guidés par des Européens, il y avait un concept de tradition et d’histoire de chaque Grand Prix. L’argent était certainement important mais ce n’était pas le principal. Aujourd’hui la situation a complètement changé. L’Europe, comme d’ailleurs dans d’autres domaines, est devenue moins présente. Les terrains qu’il faut piocher pour les gens de la Formule 1 c’est le Moyen-Orient, la Chine, les États-Unis, la Russie – même si ce n’est pas le moment – et bien d’autres pays. Si vous prenez les pays du Golfe, ils sont tout disposés à payer un plateau autour de 50 à 100 millions de dollars. Ce n’est pas ça qui les fait reculer.

"L'image ne compte plus,
il faut faire toujours plus de business et d'argent"

Que demandent-ils ?
De nous mettre au diapason des autres ! C’est-à-dire les laisser régenter la piste, les publicités, la remise des prix, les commissaires et tout. Je suis désolé mais on a quand même fait 79 Grands Prix – malheureusement j’en ai fait 50 [rires] –, en ce qui me concerne c’est clair que je ne suis pas près de les suivre dans toutes leurs demandes.

D’autres ont déjà lâché…
Lorsqu’ils arrivent à attraire à eux un Grand Prix nouveau, ils gèrent la piste, l’exploitation de la renommée, les accréditations presse, absolument tout. Pratiquement 80 % des Grands Prix européens ont tout lâché. Peut-être qu’ils reçoivent une compensation, je ne le sais pas, mais c’est la même chose partout. Pour preuve le Grand Prix dont on attend monts et merveilles, Las Vegas, où Liberty va tout organiser. On peut penser que je ne suis pas assez flexible mais je persiste à penser, en ce qui concerne Monaco, que ce n’est pas un Grand Prix calqué sur les autres mais que contrairement à ce que pense Liberty, la spécificité de chacun est essentielle, et pour nous, en particulier l’image de Monaco ne se caractérise pas par le seul circuit mais par son cadre exceptionnel, sa tradition, son décorum et la qualité de son accueil…

La nouvelle réalisation dictée par Liberty Media a tendance à gommer le décor des Grands Prix.Pourtant à Monaco, l’image est essentielle…
Pour nous le problème n’a jamais été de « faire » de l’argent mais de donner une belle image de Monaco. Ici le cadre est beau, les tribunes sont en bord de piste. Il y a des écrans de télévision partout, les virages ont un nom. C’est un élément positif pour les retransmissions TV, les aficionados arrivent à se reconnaître géographiquement là où de nouveaux circuits désignent les virages par de simples numéros.
On a de plus 52 caméras qui couvrent le circuit, la FOM n’en a pas autant ! Ils suivent la voiture de devant et de derrière. L’image ne compte plus, il faut faire toujours plus de business et d’argent. Nous, on n’a pas de pétrole mais on a des idées, et il faut les défendre…

"Nous sommes tombés d'accord avec Liberty Media
sur les sujets essentiels"

Les négociations avancent-elles malgré ces différences de point de vue ?
Pour l’instant on a un dialogue suivi, continu, chacun joue son rôle. Ils sont là pour nous prendre nos avantages et nous sommes là pour les garder. Ils ne sont pas tout à fait ahuris et nous non plus, alors je ne sais pas comment sera la robe de la mariée.

D’une certaine manière vous défendez l’histoire de Monaco.  Ce village d’Astérix qui préserve ses spécificités et ne se laisse pas marcher sur les pieds…
Sans équipe on ne fait rien. Et pendant 50 ans on nous a beaucoup tiré les oreilles mais elles ne sont jamais restées dans les doigts de ceux qui nous les taquinaient [sourire]. Nos interlocuteurs sont dans une autre manière de penser, une sensibilité et une éducation totalement différentes. Mais ce sont quand même eux les patrons du cirque donc c’est à nous, si l’on veut résister, d’être tenaces.

C’est s’adapter sans se renier…
Il est hors de question de se renier ! Le problème est de lâcher intelligemment, petit à petit, pour que personne ne se sente lésé à la sortie. L’un aura gagné là ; l’autre ici. C’est l’art de la négociation.

Le prince Albert II, qui est une sommité dans les instances sportives internationales, a-t-il un rôle à jouer dans ces négociations ?
Le Prince a un œil sur le Grand Prix mais il n’entre pas dans son rôle de discuter avec des commerciaux de Liberty. En effet, le Prince a son libre arbitre pour estimer quelle pourrait être la marche à suivre dans les rapports Liberty / ACM. Le principe de toute négociation est simple, il faut résister au maximum. Si la corde risque de craquer, à ce moment là, celui qui passe pour le mauvais doit se retirer au profit d’un négociateur plus accommodant.

Votre dernier point de négociation ?
Une négociation se fait en plusieurs points. Pour être tout à fait honnête, nous sommes tombés d’accord avec Liberty sur les sujets essentiels. Il reste peut-être 10 % à négocier encore. Le prochain rendez-vous interviendra dans les deux semaines après le Grand Prix…

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