Kubica le phénix

Absent des grilles de départ en F1 depuis 2010, le Polonais Robert Kubica a retrouvé un volant chez Williams cette saison, à 34 ans. Huit ans après un terrible accident de rallye où il avait failli perdre l’usage de son bras droit. Une volonté qui force le respect

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Publié le 23/05/2019 à 10:34, mis à jour le 23/05/2019 à 10:34
Une prise en charge optimale du blessé est possible sur la piste.
Une prise en charge optimale du blessé est possible sur la piste.

Il a vécu une période très difficile ces dernières années et c’est formidable de voir qu’il a l’opportunité de revenir. C’est excitant pour notre sport de le revoir en action. » Fin 2018, Lewis Hamilton himself se réjouissait que Robert Kubica, réserviste de l’écurie Williams depuis un an, retrouve une place de titulaire en 2019.

Kubica, le premier Polonais à décrocher un baquet en F1. L’homme à la cinquantaine de GP au compteur et vainqueur au Canada en 2008 (BMW-Sauber), année où il avait cumulé sept podiums et longtemps titillé Hamilton, futur champion du monde.

Avant d’user leurs gommes sur le tourniquet monégasque ce week-end, Kubica comme son coéquipier Georges Russell - champion de F2 - végètent en fond de grille mais le cas de Kubica, dont les qualités humaines sont unanimement vantées dans les paddocks, force le respect. Pour cause, jamais un pilote de F1 n’avait signé un come-back après une si longue absence - neuf ans -, encore moins après avoir frôlé un handicap irréversible.

Pour quelques centimètres…

La vie de Robert, et sa carrière, basculent le 6 février 2011. Dans l’anonymat d’un rallye régional en Italie, sa Skoda Fabia S2000 dérape jusqu’à heurter un rail, qui transperce son véhicule d’avant en arrière. Pour quelques centimètres, Kubica et son copilote échappent au pire. Un miracle.

Le diagnostic fait froid dans le dos : “sub-amputation” de l’avant-bras, double fracture du radius et du cubitus, fracture ouverte du coude et de l’épaule droite, fracture de l’humérus, multiples fractures au tibia et au péroné, tendons sectionnés au genou droit… Le visage tuméfié, Kubica est héliporté vers un hôpital proche de Savone, où les médecins le plongent dans un coma artificiel. S’ensuivent sept heures de bloc opératoire, où sept chirurgiens s’affairent à reconstruire son avant-bras droit, que seuls quelques tissus maintiennent par endroits.

« J’étais droitier, je suis gaucher »

Quelques jours après l’intervention, le Dr Igor Rossello, à son chevet, se veut rassurant. « Sa main est, pour le moment, dans de bonnes conditions vu que le patient a pu faire des mouvements simples avec les doigts, ce qui donne de l’espoir. »

Débute une longue traversée du désert pour le pilote qui, 18 opérations et quelques dizaines de courses de rallye plus tard, retrouve les paddocks de Formule 1 en 2017. Une renaissance appuyée un temps par le champion du monde 2016 et triple vainqueur à Monaco, Nico Rosberg.

« Aujourd’hui, les techniques opératoires en matière d’orthopédie et de traumatologie ont fait énormément de progrès et permettent, dans un certain nombre de cas, de redonner une fonction quasi-normale à un membre qui, au départ, pouvait paraître, sinon perdu, extrêmement abîmé. On sait désormais transposer des nerfs ou greffer des artères abîmées. On fait beaucoup de choses avec la peau aussi », commente le Dr Brigitte Pasquier, adjointe du Dr Robert Scarlot à la présidence de la Commission médicale de l’Automobile Club de Monaco et membre de la Commission médicale de la FIA.

Au-delà des stigmates visuels de cet accident, Kubica résume son impact sur son quotidien d’une phrase : « J’étais droitier et maintenant je suis gaucher. »

« Le corps s’adapte à la réalité »

Quelques années plus tard, des tests passés dans une clinique spécialisée révèlent des résultats bluffants. « Mes résultats de précision, de vitesse et de force du bras gauche étaient au moins 35 % meilleurs que les meilleurs qu’ils aient jamais vus. Je ne sais pas comment, mais le corps s’adapte à la réalité. Si l’on a deux mains et qu’on est en bonne santé, on n’a pas besoin d’être si précis avec un bras en particulier. Par exemple, je pilote à 70 % avec la main gauche et à 30 % avec la droite. Si je tentais 50/50 comme à l’époque, je n’y arriverais pas. »

« Comme tous ces athlètes gravement blessés, c’est là qu’on dénote une volonté de surprendre. Ils ont cette passion qui les fait courir, cette capacité à aller plus vite que les autres », note le Dr Pasquier, qui rappelle l’exigeant cahier des charges édicté par la FIA en matière de suivi médical, notamment l’appendice L du Code sportif de la FIA. « Tous les pilotes passent les mêmes batteries de tests et un pilote qui fait une demande spécifique après un accident grave passe des tests orientés. Lorsqu’ils reviennent à la compétition. leur dossier médical est présenté par un médecin fédéral ou appartenant à la commission médicale du pays. L’Autorité sportive nationale - l’organisateur du pays - présente alors ce dossier visé par un médecin délégué de la FIA à une commission spécifique et il est éventuellement discuté et voté en Commission médicale de la FIA. »

Autant de filtres qui ne laissent aucun doute sur le bien-fondé du feu vert donné à Robert Kubica.

« Je suis très détendu quand je pilote »

Sa Super Licence retrouvée, Kubica réfute conduire à une main, et prétend même avoir un style de conduite qui a facilité sa réadaptation. « En 2010, en qualifications, je passais Eau Rouge [circuit de Spa-Francorchamps, NDLR] avec une seule main parce que je couvrais le trou en direction de l’aileron arrière. C’était bien plus dangereux que mon pilotage actuel car, là, je pilotais vraiment avec une seule main. Bien sûr, il y a des moments où je pilote avec seulement la main droite ou la main gauche en ligne droite, mais c’est automatique. J’ai beaucoup de chance, car le pilotage n’a jamais été très physique pour moi. Je suis très détendu quand je pilote. J’ai discuté avec d’autres pilotes qui doivent tenir le volant [à deux mains], sinon ils n’y arrivent pas. »

Des concurrents qui n’en gardent pas moins un temps d’avance sur lui, qui « repart pratiquement de zéro ». Au point, à la veille du premier GP de la saison, en Australie, de se considérer comme un « rookie ».

Plus ergonomiques et bardées de commandes au volant, les nouvelles monoplaces ont assurément adouci son retour mais Williams attend autre chose de lui. « Ses qualités en matière d’ingénierie vont nous servir dans le développement de notre prochaine monoplace », confie ainsi Claire Williams, team principale adjointe de l’écurie de Grove, en Angleterre.

« Tout ce qu’on souhaite, c’est de ne pas travailler, mais d’avoir tout anticipé. » Durant chaque course de ce week-end de Grand Prix, le Dr Brigitte Pasquier sera pendue à sa radio dans la Direction de course. A l’écoute permanente de la trentaine de médecins réanimateurs disséminés sur le circuit. Une spécificité monégasque.

« Les médecins peuvent anesthésier et intuber sur place »

« On a pour nous d’être rodés et contre nous de ne pas être un circuit permanent. Tous les circuits sont normalement soumis à la même norme, aux mêmes besoins, mais ici on est bien dotés parce qu’on a la particularité d’être sur un circuit en ville, sans piste intérieure. Il y a plus de difficultés à circuler donc beaucoup de réanimateurs à chaque poste. » Un urgentiste aguerri de la FIA, Ian Roberts, assurant en priorité les interventions, aidé d’un des réanimateurs de l’ACM.

À l’image du corps des commissaires de piste, la fameuse « armée orange », l’ACM ne néglige rien. « Nous avons deux commandos d’extraction des pilotes sur le circuit. Des extractions réalisées par les pompiers de Monaco, qui s’entraînent toute l’année sur des gabarits et dont faire une extraction routière est le métier. Ces commandos sont accompagnés par des voitures médicales dans lesquelles il y a un réanimateur et tout le matériel pour intervenir. Ils ont tous un sac de réanimation complet qui permet d’anesthésier, intuber, et peuvent partir en ambulance avec tout le matériel. »

Le rôle de l’ensemble du corps médical déployé sur le Grand Prix ne se limite évidemment pas aux urgences. « à tout moment le médecin délégué de la F1 ou le médecin-chef d’une épreuve peuvent demander un examen médical d’un pilote s’ils estiment devoir le faire. Par exemple si les lumières G (force de gravité) s’allument pendant une épreuve de F2 ou F1, un examen médical est effectué. »

Un corps médical qui planche en permanence sur les évolutions à apporter en termes de prise en charge comme de suivi des accidents. « La FIA fait notamment beaucoup de recherches sur les commotions cérébrales. En Angleterre, les médecins travaillent beaucoup sur le football américain, le rugby ou les K.O. que subissent les boxeurs. Tout un suivi est mis en place par l’Université d’Oxford, sur les sports à risques, qui espère en tirer des résultats. »

En bas : Kubica et la BMW-Sauber en 2008 à Monaco. En haut : Kubica sur le podium (3e) du GP de Monaco 2010, derrière Webber et Vettel. À droite : Kubica le revenant, hier.
En bas : Kubica et la BMW-Sauber en 2008 à Monaco. En haut : Kubica sur le podium (3e) du GP de Monaco 2010, derrière Webber et Vettel. À droite : Kubica le revenant, hier. J.-F. Ottonello et F. Chavaroche.

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