Elle court, elle court, elle court... Encore et toujours. Si elle vient de franchir le cap des 70 printemps et de quitter la présidence la commission FIA "Women in Motorsport", Michèle Mouton fait une fois de plus la course en tête, ce week-end, au 90e Rallye Monte-Carlo.
La Grassoise poursuit en effet son autre mission. Déléguée à la sécurité sur le front du WRC, elle arpente chaque spéciale trente minutes avant le top départ afin de vérifier si la voie est libre, sans risque pour le public. Tous derrière et elle devant, donc!
Comme lorsque la seule et unique femme à avoir tenu la dragée haute aux cadors de la route portait l’habit de lumière Audi et cravachait sa Quattro en compagnie de Fabrizia Pons. En empilant les victoires, jusqu’à offrir le titre des constructeurs à la firme aux anneaux et à manquer de justesse une couronne des pilotes tombée in extremis sur la tête de Walter Röhrl.
C’était hier, ou presque. En 1982. Il y a quarante ans...
Michèle, cette saison 1982, elle vous semble à des années-lumière ou pas si loin?
Franchement, elle me paraît très loin. Moi, vous savez, je vis dans le présent, pas dans le passé. Les courses de cette époque, je n’y pense jamais, sauf lorsqu’on m’en parle. J’ai même du mal à comprendre comment des gens peuvent s’intéresser à ce que nous faisions il y a une quarantaine d’années. C’est mon caractère, c’est comme ça!
Chez vous, il n’y a pas un seul souvenir exposé sur une étagère ou accroché au mur?
Jamais de la vie! Je n’ai jamais mis en évidence le moindre trophée. Si vous pouvez, regardez le documentaire intitulé "Queen of speed" que vient de me consacrer Sky Channel outre-Manche. Vous verrez. Chez Fabrizia (Pons), les coupes trônent dans le salon. Chez moi, elles dorment dans des cartons entassés au fond du grenier depuis des lustres.
Donc vous n’aimez pas faire ce genre de marche arrière?
Si on m’y invite, je la fais! Attention, je ne remets pas en question le plaisir éprouvé autrefois. Au contraire... Jeter un œil dans le rétro, ça me permet d’apprécier davantage la chance qui fut la mienne de vivre tous ces bons moments, cette expérience incroyable. Mais il s’agit juste d’un flash-back. Plus j’avance dans l’existence, plus je me dis que l’important, c’est aujourd’hui. Ni hier, ni demain. Voilà!
Alors parlons d’avant-hier! Après la retentissante victoire décrochée trois mois plus tôt au Sanremo, les regards et les mots à votre égard avaient-ils changé? Vous considérait-on autrement?
1981, c’était ma première année en championnat du monde. Avant, on me connaissait surtout en France. Le succès à Sanremo a généré un boum médiatique. À ce moment-là, je n’ai pas vraiment mesuré l’impact. Non, à l’intérieur, dans ma bulle de pilote, je n’ai pas pris conscience de l’effet provoqué sur les gens. Battre les hommes, d’ailleurs, ce n’était pas notre objectif. Avec Fabrizia, on voulait juste arriver à leur niveau. Et là, on s’est rendu compte que nous avions les moyens de rivaliser. Mentalement, physiquement...
Votre ambition, début 1982: décrocher une deuxième victoire ou coiffer la couronne?
Moi, je ne regardais pas au-delà de la course à venir. Le titre mondial, jamais je n’y ai songé. Je le voyais comme une étoile inaccessible. Parce que piloter une Quattro, c’était tout sauf facile, n’en déplaise à certains...D’abord, mes deux coéquipiers étaient plus forts que moi. Et puis il fallait tenir le choc, la distance, car les épreuves duraient beaucoup plus longtemps. Jour et nuit, on enchaînait spéciales et liaisons à fond. Non-stop!
Le Monte-Carlo 82 propose un terrain très majoritairement sec. Audi rime quand même avec favori au départ?
Non, sur goudron sec, l’auto sous-virait tellement. Elle s’avérait assez dure à exploiter. La comparaison avec les propulsions n’était pas à son avantage.
Les Opel Ascona 400 de Röhrl et Kleint et les Porsche 911 de Fréquelin et Thérier prennent en effet les devants. Mais au début du parcours commun, c’est vous qui signez haut la main le meilleur temps dans le Turini en pneus slick...
Ça, je ne risque pas de l’oublier. D’autant qu’il s’agit de mon seul scratch au Turini, une spéciale que j’adorais. Pour creuser de tels écarts (Mikkola, son coéquipier, 2e à 5’’, puis Fréquelin à 18’’, Röhrl à 22’’, Thérier à 56’’ et les autres à plus d’une minute, ndlr), je m’étais sorti les tripes. Concentrée à 200% sur les notes de Fabrizia, même si je connaissais la route par cœur. À l’arrivée, j’étais très contente de mon chrono. Fière!
La violente sortie de route éliminatoire dans la spéciale suivante, Pont-des-Miolans, vous l’avez gardée longtemps en travers de la gorge?
En passant plusieurs heures avant nous dans ce virage, à Briançonnet, les ouvreurs n’ont pas vu de verglas. Ils ont donc barré la mention qui figurait dans nos notes. La plaque glissante s’est reformée entre-temps. J’attaquais fort et on est parti en luge jusqu’à ce double choc. Sur le coup, c’est rageant. Mais que voulez-vous? L’accident fait partie de la course. À quoi bon pleurer ou ruminer? Moi, je suis plutôt fataliste, j’arrive à tourner la page assez vite.
Ne jamais avoir atteint l’arrivée du Monte-Carlo au volant d’une Audi, ça reste un regret?
Trois départs, trois abandons: sûr qu’il manque quelque chose! La réussite m’a tourné le dos. Surtout lorsque je sors de la route dans Le Moulinon-Antraigues (en 1983). Ce crash-là, il m’a fait mal. Au sens figuré. Parce qu’on allait très très vite. Un super résultat nous tendait les bras. Vraiment!
La semaine dernière, dans une interview accordée à AUTOhebdo, Fabrizia a déclaré: "Je n’aime pas le Monte-Carlo. C’est un rallye où nous n’avons jamais les bons pneus sur toute une spéciale...et donc nous roulons doucement." D’accord avec elle?
Non, pas du tout. Moi, justement, j’aime ce challenge atypique. Choisir les gommes les plus adaptées, trouver le meilleur compromis et faire le maximum avec ça. Fabrizia, elle exagère un peu, là! Je ne comprends pas. D’autant qu’elle a gagné le Monte-Carlo (en 1997, avec Piero Liatti).
Quand prenez-vous conscience que le titre est jouable en 1982?
Très tard. Quand Audi me le dit! En août, après nos trois victoires (Portugal, Acropole, Brésil), ils ont décidé d’ajouter la Côte d’Ivoire. Parce qu’un succès à Abidjan aurait été quasiment synonyme de sacre. Il suffisait ensuite de finir le RAC.
Si l’histoire était à refaire, que changeriez-vous?
Absolument rien. À part, peut-être, ce remplacement de boîte de vitesses un brin précipité, durant la 3e étape en Côte d’Ivoire. Elle donnait quelques signes de faiblesse, d’accord. Mais on comptait alors 1h20 d’avance. Fallait-il agir tout de suite en catastrophe sur le bord du chemin ou attendre la grosse assistance en fin de journée? On a choisi la première option et ce ne fut pas très fructueux (sous la menace de Röhrl, revenu à 18 minutes, elle perdra ses espoirs de titre plus loin après une sortie de route).
Et si on vous avait dit alors que vous seriez toujours la seule femme figurant aux palmarès de manches du championnat du monde quarante ans plus tard?
Impossible d’imaginer cela! À l’époque, certes, j’étais la seule engagée au top niveau. Mais globalement, beaucoup plus de filles évoluaient en rallye. J’ai d’ailleurs moi-même débuté au Paris-Saint Raphaël, une épreuve 100% féminine. Depuis, la base de la pyramide s’est rétrécie. Parce que la discipline a évolué dans un sens qui ne favorise pas la mixité, sans doute. Ce n’est plus de l’endurance, mais du sprint pur. En face, les circuits offrent un éventail plus large, donc plus de possibilités, de débouchés. De quoi attirer les quelques filles capables de percer dans un championnat international, je pense.
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