"Il est spécial à bien des égards": Jean Todt raconte son ami Michael Schumacher

Jean Todt, ancien patron de la Scuderia Ferrari puis de la FIA, porte un regard nostalgique et aiguisé sur les années sportives vécues avec Michael Schumacher, notamment en Principauté.

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Thibaut Parat Publié le 25/05/2023 à 15:00, mis à jour le 25/05/2023 à 12:16
Jean Todt, ancien directeur de la Scuderia Ferrari et président de la FIA. Photo Cyril Dodergny

Avec la Scuderia Ferrari, ils ont formé un rouleau compresseur ne laissant guère de place à la concurrence. Ensemble, Jean Todt et Michael Schumacher ont cumulé six titres constructeurs et cinq titres individuels, entre 1999 et 2005. Avant ces années si fructueuses, le directeur d’écurie et son pilote phare ont vécu le doute et les déconvenues, renforçant leur relation sportive, créant une amitié dans le temps.

Aujourd’hui encore, l’ancien président de la FIA est un intime du clan Schumacher. "Laissez-les en paix", s’adresse-t-il à la presse quand celle-ci tente de lever le mystère sur l’état de santé du "Baron Rouge", victime d’un accident de ski en 2013.

De bref passage en Principauté, ce bourreau de travail au planning millimétré a visité l’expo photos Intimacy behind speed de Vanessa Von Zitzewitz consacrée à Michael Schumacher chez Sotheby’s. Entretien.

À défaut d’être présent pour le Grand Prix, vous avez tenu à faire un crochet par la galerie Sotheby’s ce lundi…

Ces photos me rappellent de merveilleux souvenirs. Les animateurs de cette exposition étaient deux motifs suffisants pour m’arrêter entre le Festival de Cannes [son épouse, l’actrice Michelle Yeoh, y était présente, N.D.L.R.] et Milan : Vanessa Von Zitzewitz, la photographe, qui est une amie très chère, et Michael Schumacher, le thème de cette exposition. Outre le fait d’être un immense champion, c’est un ami très proche.

Ces clichés montrent les coulisses de l’écurie Ferrari et de son pilote phare en 1998. Avant une course, quel homme était-il? Plutôt loquace ou dans sa bulle?

Globalement toujours très concentré. Avant une course, le pilote ne parle que de choses essentielles avec un nombre restreint de personnes. J’avais le privilège d’en faire partie. Il échangeait beaucoup avec son ingénieur de piste et avec le directeur technique. Il puisait de l’énergie dans ces moments de complicité.

Il faut un tout pour dominer

Dans toutes les disciplines, ce type de débats divise les fans: est-il le plus grand pilote de Formule 1 de tous les temps?

La vie est faite de chapitres, de cycles. La F1, aussi. Michael Schumacher est un grand champion qui a dominé une décennie mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’il est le plus grand de tous les temps. Il y a eu Jim Clark, l’un des héros de mon adolescence, Juan-Manuel Fangio, Ayrton Senna, Alain Prost, Niki Lauda et, plus tard, Sebastian Vettel, Lewis Hamilton, Max Verstappen. Mais Michael est spécial à bien des égards. Notre collaboration, entre 1996 et 2006, a été faite de moments douloureux qui ont renforcé notre amitié mais notre exigence mutuelle, avec la "Dream Team", nous a permis de gagner des championnats du monde constructeurs et pilotes.

Qu’avait-il de plus que ses concurrents?

C’est un ensemble. La Formule 1 est une discipline tellement pointue qu’il faut, au même moment, le meilleur pilote, la meilleure voiture, la meilleure équipe, le meilleur moteur, la meilleure fiabilité. Si vous réunissez tous ces éléments, alors vous dominez. Ce fut le cas à l’époque.

À Monaco, vous avez connu des hauts et des bas. Il y a d’abord eu ce coup de génie en 1997 où, sous une pluie battante, Michael Schumacher remporte la course avec près d’une minute d’avance.

Monaco est un circuit très spécial et y remporter la victoire est particulier. En une décennie, en effet, on a connu des moments tristes mais aussi du très bon. En 1997, on pouvait avoir des véhicules de réserve. Compte tenu de la situation météorologique menaçante, Michael avait changé sa monoplace au dernier moment, juste avant d’aller sur la grille de départ [elle était entièrement configurée pour la pluie, N.D.L.R.]. Ce fut une décision formidable.

Un grand sens de la course

Elle a été prise par lui seul, à l’instinct?

Je n’ai plus les détails en tête mais il s’agissait toujours de décisions partagées. Michael, qui avait un grand sens de la course, pouvait éventuellement proposer une stratégie. Mais c’était discuté et accepté, ou non, par l’équipe. Ce n’était jamais une décision autocritique.

L’autre épisode, moins bon cette fois-ci, se déroule en 2006…

À quelques instants de la fin des qualifications, alors qu’il est en pole position, il fait un tête-à-queue à la Rascasse. Une erreur stratégique. Il s’est finalement retrouvé en fond de grille [les commissaires avaient estimé que la manœuvre était volontaire pour empêcher Fernando Alonso de signer un meilleur temps que lui dans les derniers instants, N.D.L.R.]. C’est probablement l’un des épisodes qui lui coûte le championnat du monde des pilotes cette année-là.

Lors de cette course, Michael Schumacher termine tout de même 5e après avoir glané 17 positions. Qu’est-ce que cette spectaculaire remontada dit de lui?

Que c’est un champion incroyable. Mais il avait eu de bonnes opportunités car on sait à quel point le tracé de Monaco est difficile pour les dépassements. C’est d’ailleurs une des limites du circuit. En 1992, les pneus de Nigel Mansell avaient été changés et, au tour, celui-ci allait plus vite qu’Ayrton Senna mais il n’a jamais réussi à le doubler. C’est pourquoi le samedi des qualifications est tellement important. S’il n’y a pas d’incidents et s’il prend un bon départ, le poleman a de grandes chances de remporter la course.

Charles Leclerc a raflé la pole position en 2021 et 2022 à Monaco, mais sans jamais concrétiser…

Parce qu’à chaque fois… il y a eu des raisons. Tout n’était, malheureusement, pas réuni. En 2021, il subit un problème mécanique dans le tour de formation avant d’aller sur la grille. En 2022, une erreur stratégique de Ferrari ne lui a pas été favorable. Ce sont ces deux fois où il a été le plus proche de gagner la course.

Avec l’arrivée de Frédéric Vasseur à la tête de l’écurie Ferrari, les choses peuvent-elles changer?

Il est très difficile de juger quand on n’est pas concerné directement. Je ne suis pas un chroniqueur qui juge donc je m’épargnerai de faire des commentaires.

Vous suivez tout de même Charles Leclerc d’un œil attentif…

Je porte sur lui un regard particulièrement affectif. Mon fils, Nicolas, est son manager depuis des années. Ils ont commencé ensemble l’aventure en karting et ont gravi la pyramide de la monoplace: Formule 3, Formule 2 et désormais Formule 1. Charles conduit pour une écurie mythique. C’est un pilote extrêmement talentueux. Il mérite de gagner le Grand Prix de Monaco, à défaut du championnat. Mais j’espère que cela pourra arriver rapidement.

Parmi les 20 pilotes de la grille, qui se rapproche le plus de Schumacher?

Tous ont la même mentalité de gagnant. Mais je dirais Max Verstappen. C’est un très bon pilote, très performant avec la meilleure monoplace, la meilleure équipe. Il laisse peu de place aux autres et à la concurrence.

Vous le disiez, le circuit de Monaco est très spécial. Le contrat jusqu’en 2025, signé entre l’ACM et le promoteur de la F1 Liberty Media, a été long à aboutir…

Les temps changent. Monaco était un circuit unique, dans un endroit unique, avec des accords commerciaux uniques. Avec l’arrivée d’un nouveau promoteur, de nouveaux actionnaires, de nouvelles courses (Miami, Las Vegas, Singapour), Monaco perd un peu de cette particularité. Automatiquement, ça les amène à perdre des avantages dont ils pouvaient bénéficier. Pour continuer à être inscrit sur le calendrier, il fallait lâcher du lest.

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